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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/222

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

étrangère, on ne doit pas craindre de l’exposer. Il a l’air résolu ; il semble avoir au cœur du sang de son père et de sa mère ; mais s’il pouvait jamais éprouver autre chose que le sentiment de la gloire dans le péril, qu’il abdique : sans le courage, en France, point de couronne.

« En me voyant, madame, étendre dans un long avenir la pensée de l’éducation de Henri V, vous supposerez naturellement que je ne le crois pas destiné à remonter de sitôt sur le trône. Je vais essayer de déduire avec impartialité les raisons opposées d’espérance et de crainte.

« La restauration peut avoir lieu aujourd’hui, demain. Je ne sais quoi de si brusque, de si inconstant se fait remarquer dans le caractère français, qu’un changement est toujours probable ; il y a toujours cent contre un à parier, en France, qu’une chose quelconque ne durera pas : c’est à l’instant que le gouvernement paraît le mieux assis qu’il s’écroule. Nous avons vu la nation adorer et détester Bonaparte, l’abandonner, le reprendre, l’abandonner encore, l’oublier dans son exil, lui dresser des autels après sa mort, puis retomber de son enthousiasme. Cette nation volage, qui n’aima jamais la liberté que par boutades, mais qui est constamment affolée d’égalité ; cette nation multiforme fut fanatique sous Henri IV, factieuse sous Louis XIII, grave sous Louis XIV, révolutionnaire sous Louis XVI, sombre sous la République, guerrière sous Bonaparte, constitutionnelle sous la Restauration : elle prostitue aujourd’hui ses libertés à la monarchie dite républicaine, variant perpétuel-