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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/249

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Venise, septembre 1833.

À Venise, en 1806, il y avait un jeune signor Armani, traducteur italien ou ami du traducteur du Génie du Christianisme. Sa sœur, comme il disait, était nonne, monaca. Il y avait aussi un juif allant à la comédie du grand Sanhédrin de Napoléon[1] et qui reluquait ma bourse ; plus M. Lagarde, chef des espions français, lequel me donna à dîner : mon traducteur, sa sœur, le juif du Sanhédrin, ou sont morts ou n’habitent plus Venise. À cette époque je demeurais à l’hôtel du Lion-Blanc, près du Rialto ; cet hôtel a changé de lieu. Presque en face de mon ancienne auberge est le palais Foscari qui tombe. Arrière toutes

    Chateaubriand trouvait le loisir d’écrire à Mme Récamier cette jolie lettre :

    « Venise, 10 septembre 1833. — Je voudrais bien que vous fussiez ici. Le soleil, que je n’avais pas vu depuis Paris, vient de paraître. Je suis logé à l’entrée du grand canal, ayant la mer à l’horizon et sous ma fenêtre. Ma fatigue est extrême, et pourtant je ne puis m’empêcher d’être sensible à ce beau et triste spectacle d’une ville si charmante et si désolée, et d’une mer presque sans vaisseaux. Et puis, les vingt-six ans écoulés à compter du jour où je quittai Venise, pour aller m’embarquer à Trieste pour la Grèce et Jérusalem ! Si je ne vous rencontrais pas dans ce quart de siècle, que je dirais des choses rudes au siècle ! Je n’ai rien trouvé pour me diriger ici : on est bien bon, mais bien étourdi. Je vais être obligé d’attendre des réponses de Florence. C’est donc huit jours à courir Venise ; je les mettrai à profit, et à la Saint-François je vous montrerai tout cela. À vous, avec toute la douceur de ce climat si différent de celui des Gaules !

    « Je ne suis point encore sorti de mon auberge. On faisait des prières pour la cessation de la pluie ; elle a cessé à mon arrivée : c’est de bon augure. À bientôt. »

  1. Sur le grand Sanhédrin, qui se réunit à Paris, sur l’ordre de Napoléon, à la fin de 1806, voir au tome III la note 1 de la page 202 (note 171 du Livre Premier de la Troisième Partie).