Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/265

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

connu à mes cornes de feu. Il est accouru, m’a montré lui-même diverses curiosités ; puis, s’excusant de ne pouvoir m’accompagner plus longtemps, à cause d’un conseil qu’il allait présider, il m’a remis entre les mains d’un officier supérieur.

Nous avons rencontré le capitaine de la frégate en partance. Celui-ci m’a abordé sans façon et m’a dit, avec cette franchise de marin que j’aime tant : « Monsieur le vicomte (comme s’il m’avait connu toute sa vie), avez-vous quelque commission pour l’Amérique ? — Non, capitaine : faites-lui bien mes compliments ; il y a longtemps que je ne l’ai vue ! »

Je ne puis regarder un vaisseau sans mourir d’envie de m’en aller : si j’étais libre, le premier navire cinglant aux Indes aurait des chances de m’emporter. Combien ai-je regretté de n’avoir pu accompagner le capitaine Parry aux régions polaires ! Ma vie n’est à l’aise qu’au milieu des nuages et des mers : j’ai toujours l’espérance qu’elle disparaîtra sous une voile. Les pesantes années que nous jetons dans les flots du temps ne sont pas des ancres ; elles n’arrêtent pas notre course.

Venise, septembre 1833.

À l’arsenal, je n’étais pas loin de l’île Saint-Christophe, qui sert aujourd’hui de cimetière. Cette île renfermait un couvent de capucins ; le couvent a été abattu et son emplacement n’est plus qu’un enclos de forme carrée. Les tombes n’y sont pas très multipliées, ou du moins elles ne s’élèvent pas au-dessus du sol nivelé et couvert de gazon. Contre le mur de