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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/269

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Venise, septembre 1833.

Nous sommes allés voir cet autre champ qui attend le grand laboureur. Saint-Michel de Murano est un riant monastère avec une église élégante, des portiques et un cloître blanc. Des fenêtres du couvent on aperçoit, par-dessus les portiques, les lagunes et Venise ; un jardin rempli de fleurs va rejoindre le gazon dont l’engrais se prépare encore sous la peau fraîche d’une jeune fille. Cette charmante retraite est abandonnée à des Franciscains ; elle conviendrait mieux à des religieuses chantant comme les petites élèves des Scuole de Rousseau. « Heureuses celles, dit Manzoni, qui ont pris le voile saint avant d’avoir arrêté leurs yeux sur le front d’un homme ! »

Donnez-moi là, je vous prie, une cellule pour achever mes Mémoires.

Fra Paolo[1] est inhumé à l’entrée de l’église ; ce chercheur de bruit doit être bien furieux du silence qui l’environne.

Pellico, condamné à mort, fut déposé à Saint-Michel avant d’être transporté à la forteresse du Spielberg. Le président du tribunal où comparut Pellico remplace le poète à Saint-Michel ; il est enseveli dans le cloître ; il ne sortira pas, lui, de cette prison.

  1. Sarpi (Pierre-Paul), dit Fra Paolo, né à Venise en 1552, mort en 1623. Il entra chez les Servites et devint, en 1585, procureur général de son ordre. La République le nomma son théologien consultant, puis membre du Tribunal des Dix. Le plus célèbre de ses ouvrages, L’Histoire du Concile de Trente, publié à Londres en 1619, est moins l’œuvre d’un moine que celle d’un protestant. Le cardinal Pallavicino a écrit, pour le réfuter, une Histoire du même concile.