Aller au contenu

Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
277
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Le beau ciel que ses yeux regardaient en s’ouvrant au jour fut un ciel trompeur.

« Mes adversités, dit-il, commencèrent avec ma vie. La cruelle fortune m’arracha des bras de ma mère. Je me souviens de ses baisers mouillés de larmes, de ses prières que les vents ont emportées. Je ne devais plus presser mon visage contre son visage. D’un pas mal assuré comme Ascagne ou la jeune Camille, je suivis mon père errant et proscrit. C’est dans la pauvreté et l’exil que j’ai grandi. »

Torquato Tasso perdit à Ostille Bernardo Tasso.[1] Torquato a tué Bernardo comme poète ; il l’a fait vivre comme père.

Sorti de l’obscurité par la publication du Rinaldo, Tasse fut appelé à Ferrare. Il y débuta au milieu des fêtes du mariage d’Alphonse II avec l’archiduchesse Barbe. Il y rencontra Léonore, sœur d’Alphonse : l’amour et le malheur achevèrent de donner à son génie toute sa beauté. « Je vis, raconte le poète peignant dans l’Aminte la première cour de Ferrare, je vis des déesses et des nymphes charmantes, sans voile, sans nuage : je me sentis inspiré d’une nouvelle vertu, d’une divinité nouvelle, et je chantai la guerre et les héros… ! »

Le Tasse lisait les stances de la Gerusalemme, à mesure qu’il les composait, aux deux sœurs d’Alphonse, Lucrèce et Léonore. On l’envoya auprès du

  1. Bernardo Tasso (1493-1569), père de l’auteur de la Jérusalem délivrée, s’était acquis un assez grand renom littéraire en composant un Amadis de Gaule (Amadigi di Francia), poème en 100 chants et 57 000 vers. Il est encore auteur d’un poème de Floridant, d’Eglogues, d’Odes et d’Elégies, qui témoignent d’un esprit aimable et d’un talent facile.