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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/311

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Je fus obligé d’accepter mon rôle improvisé de premier gentilhomme de la chambre. La princesse était extrêmement drôle : elle portait une robe de toile grisâtre, serrée à la taille ; sur sa tête, une espèce de petit bonnet de veuve, ou de béguin d’enfant ou de pensionnaire en pénitence. Elle allait çà et là, comme un hanneton ; elle courait à l’étourdie, d’un air assuré, au milieu des curieux, de même qu’elle se dépêchait dans les bois de la Vendée. Elle ne regardait et ne reconnaissait personne ; j’étais obligé de l’arrêter irrespectueusement par sa robe, ou de lui barrer le chemin en lui disant : « Madame, voilà le commandant autrichien, l’officier en blanc ; Madame, voilà le commandant des troupes pontificales, l’officier en bleu ; Madame, voilà le prolégat, le grand jeune abbé en noir. » Elle s’arrêtait, disait quelques mots en italien ou en français, pas trop justes, mais rondement, franchement, gentiment, et qui, dans leur déplaisance, ne déplaisaient pas : c’était une espèce d’allure ne ressemblant à rien de connu. J’en sentais presque de l’embarras, et pourtant je n’éprouvais aucune inquiétude sur l’effet produit par la petite échappée des flammes et de la geôle.

Une confusion comique survenait. Je dois dire une chose avec toute la réserve de la modestie : le vain bruit de ma vie augmente à mesure que le silence réel de cette vie s’accroît. Je ne puis descendre aujourd’hui dans une auberge, en France ou à l’étranger, que je n’y sois immédiatement assiégé. Pour la vieille Italie, je suis le défenseur de la religion ; pour la jeune, le défenseur de la liberté ; pour les autorités, j’ai l’honneur d’être la Sua Eccellenza gia am-