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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/337

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que. Faut-il s’étonner si la France aujourd’hui se confirme de plus en plus dans la haute opinion qu’elle a des gens de cour d’autrefois ?

Je me donnai garde de montrer le fond de ma pensée. La persécution avait changé mes dispositions au sujet du voyage de Prague ; j’étais maintenant aussi désireux de l’entreprendre seul dans les intérêts de ma souveraine, que j’avais été opposé à le faire avec elle lorsque les chemins lui étaient ouverts. Je dissimulai mes vrais sentiments, et, voulant entretenir le gouverneur dans la bonne volonté de me donner un passe-port, j’augmentai sa loyale inquiétude ; je répondis :

« Monsieur le gouverneur, vous me proposez une chose difficile. Vous connaissez madame la duchesse de Berry ; ce n’est pas une femme que l’on mène comme on veut : si elle a pris son parti, rien ne la fera changer. Qui sait ? il lui convient peut-être d’être arrêtée par l’empereur d’Autriche, son oncle, comme elle a été mise au cachot par Louis-Philippe, son oncle ! Les rois légitimes et les rois illégitimes agiront les uns comme les autres ; Louis-Philippe aura détrôné le fils de Henri IV, François II empêchera la réunion de la mère et du fils ; M. le prince de Metternich relèvera M. le général Bugeaud dans son poste, c’est à merveille. »

Le gouverneur était hors de lui : « Ah ! vicomte, que vous avez raison ! cette propagande, elle est partout ! cette jeunesse ne nous écoute plus ! pas encore autant dans l’État vénitien que dans la Lombardie et le Piémont. — Et la Romagne ! me suis-écrié, et Naples ! et la Sicile ! et les rives du Rhin !