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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/34

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

affaires qu’avec moi. Il avait été sagement décidé, par l’introducteur des ambassadeurs sous la Restauration, que tout ambassadeur mort rentrait dans la vie privée ; Baptiste était rentré dans la domesticité.

Arrivé à Altkirch, relais de la frontière, un gendarme se présenta et me demanda mon passe-port. À la vue de mon nom, il me dit qu’il avait fait, sous les ordres de mon neveu Christian, capitaine dans les dragons de la garde, la campagne d’Espagne en 1823. Entre Altkirch et Saint-Louis je rencontrai un curé et ses paroissiens ; ils faisaient une procession contre les hannetons, vilaines bêtes fort multipliées depuis les journées de Juillet. À Saint-Louis, les préposés des douanes, qui me connaissaient, me laissèrent passer. J’arrivai joyeux à la porte de Bâle où m’attendait le vieux tambour-major suisse qui m’avait infligé au mois d’août précédent un bedit garantaine t’un quart d’hire ; mais il n’était plus question de choléra et j’allai descendre aux Trois-Rois, au bord du Rhin ; c’était le 17 mai, à dix heures du matin.

Le maître d’hôtel me procura un domestique de place appelé Schwartz, natif de Bâle, pour me servir d’interprète en Bohême. Il parlait allemand, comme mon bon Joseph, ferblantier milanais, parlait grec en Messénie en s’enquérant des ruines de Sparte.

Le même jour, 17 mai, à 6 heures du soir, je démarrai du port. En montant en calèche, je fus ébahi de revoir le gendarme d’Altkirch au milieu de la foule ; je ne savais s’il n’était point dépêché à ma suite : il avait tout simplement escorté la malle-poste de France. Je lui donnai pour boire à la santé de son ancien capitaine.