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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/346

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

petite lumière découvrit à Christophe Colomb la première île du Nouveau-Monde. C’était à Mestre que j’étais débarqué de Venise, lors de mon premier voyage en 1806 : fugit ætas.

Je déjeunai à Conegliano : j’y fus complimenté par les amis d’une dame, traducteur de l’Abencerage, et sans doute ressemblant à Blanca : « Il vit sortir une jeune femme, vêtue à peu près comme ces reines gothiques sculptées sur les monuments de nos anciennes abbayes ; une mantille noire était jetée sur sa tête ; elle tenait avec sa main gauche cette mantille croisée et fermée comme une guimpe au-dessous de son menton, de sorte que l’on n’apercevait de tout son visage que ses grands yeux et sa bouche de rose. » Je paye ma dette au traducteur de mes rêveries espagnoles, en reproduisant ici son portrait.

Quand je remontai en voiture, un prêtre me harangua sur le Génie du Christianisme. Je traversais le théâtre des victoires qui menèrent Bonaparte à l’invasion de nos libertés.

Udine est une belle ville : j’y remarquai un portique imité du palais des doges. Je dînai à l’auberge, dans l’appartement que venait d’occuper madame la comtesse de Samoyloff ; il était encore tout rempli de ses dérangements. Cette nièce de la princesse Bagration, autre injure des ans, est-elle encore aussi jolie qu’elle l’était à Rome en 1829, lorsqu’elle chantait si extraordinairement à mes concerts ? Quelle brise roulait de nouveau cette fleur sous mes pas ? quel souffle poussait ce nuage ? Fille du Nord, tu jouis de la vie ; hâte-toi : des harmonies qui te charmaient ont