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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/383

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

hension éclairée des temps. Les événements si rapides nous ont si promptement vieillis, que quand on nous rappelle nos gestes d’une époque passée, il nous semble que l’on nous parle d’un autre homme que de nous : et puis, avoir varié, c’est avoir fait comme tout le monde.

Philippe n’a pas cru, comme la branche restaurée, qu’il était obligé pour régner de dominer dans tous les villages ; il a jugé qu’il lui suffisait d’être maître de Paris ; or, s’il pouvait jamais rendre la capitale ville de guerre, avec un roulement annuel de soixante mille prétoriens, il se croirait en sûreté. L’Europe le laisserait faire, parce qu’il persuaderait aux souverains qu’il agit dans la vue d’étouffer la révolution dans son vieux berceau, déposant pour gage entre les mains des étrangers les libertés, l’indépendance et l’honneur de la France. Philippe est un sergent de ville : l’Europe peut lui cracher au visage ; il s’essuie, remercie et montre sa patente de roi. D’ailleurs, c’est le seul prince que les Français soient à présent capables de supporter. La dégradation du chef élu fait sa force ; nous trouvons momentanément dans sa personne ce qui suffit à nos habitudes de couronne et à notre penchant démocratique ; nous obéissons à un pouvoir que nous croyons avoir le droit d’insulter ; c’est tout ce qu’il nous faut de liberté : nation à genoux, nous souffletons notre maître, rétablissant le privilège à ses pieds, l’égalité sur sa joue. Narquois et rusé, Louis XI de l’âge philosophique, le monarque de notre choix conduit dextrement sa barque sur une boue liquide. La branche aînée des Bourbons est séchée sauf un bouton ; la branche cadette