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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/40

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

droits des souverains, moi qui reconnaissais ceux d’un jeune monarque, quand les souverains eux-mêmes ne les reconnaissaient plus. La vulgarité, la modernité de la douane et du passe-port contrastaient avec l’orage, la porte gothique, le son du cor et le bruit du torrent.

Au lieu de la châtelaine opprimée que je me préparais à délivrer, je trouvai, au sortir de la ville, un vieux bonhomme ; il me demanda six cruches (kreutzer), haussant de la main gauche une lanterne au niveau de sa tête grise, tendant la main droite à Schwartz assis sur le siège, ouvrant sa bouche comme la gueule d’un brochet pris à l’hameçon : Baptiste, mouillé et malade, ne s’en put tenir de rire.

Et ce torrent que je venais de franchir, qu’était-ce ? Je le demandai au postillon, qui me cria : « Donau (le Danube). » Encore un fleuve fameux traversé par moi à mon insu, comme j’étais descendu dans le lit des lauriers-roses de l’Eurotas sans le connaître ! Que m’a servi de boire aux eaux du Meschacébé, de l’Éridan, du Tibre, du Céphise, de l’Hermus, du Jourdain, du Nil, du Bétis, du Tage, de l’Èbre, du Rhin, de la Sprée, de la Seine et de cent autres fleuves obscurs ou célèbres ? Ignorés, ils ne m’ont point donné leur paix ; illustres, ils ne m’ont point communiqué leur gloire : ils pourront dire seulement qu’ils m’ont vu passer comme leurs rives voient passer leurs ondes.

J’arrivai d’assez bonne heure, le dimanche, 19 mai, à Ulm, après avoir parcouru le théâtre des campagnes de Moreau et de Bonaparte.

Hyacinthe, membre de la Légion d’honneur, en portait le ruban : cette décoration nous attirait des respects incroyables. N’ayant à ma boutonnière qu’une