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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/401

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Potomac. Vous reverrez les ombrages hospitaliers du Mont-Vernon ; mais celui que vous vénérâtes, vous ne le retrouverez plus sur le seuil de sa porte. À sa place et en son nom, les fils reconnaissants de l’Amérique vous saluent. Soyez trois fois le bienvenu sur nos rives ! Dans quelque direction de ce continent que vous dirigiez vos pas, tout ce qui pourra entendre le son de votre voix vous bénira. »

Dans le nouveau monde, M. de La Fayette a contribué à la formation d’une société nouvelle ; dans le monde ancien, à la destruction d’une vieille société : la liberté l’invoque à Washington, l’anarchie à Paris.

M. de La Fayette n’avait qu’une seule idée, et malheureusement pour lui elle était celle du siècle ; la fixité de cette idée a fait son empire ; elle lui servait d’œillère, elle l’empêchait de regarder à droite et à gauche ; il marchait d’un pas ferme sur une seule ligne ; il s’avançait sans tomber entre les précipices, non parce qu’il les voyait, mais parce qu’il ne les voyait pas ; l’aveuglement lui tenait lieu de génie : tout ce qui est fixe est fatal, et ce qui est fatal est puissant.

Je vois encore M. de La Fayette, à la tête de la garde nationale, passer, en 1790, sur les boulevards pour se rendre au faubourg Saint-Antoine ; le 22 mai 1834, je l’ai vu, couché dans son cercueil, suivre les mêmes boulevards. Parmi le cortège, on remarquait une troupe d’Américains ayant chacun une fleur jaune à la boutonnière. M. de La Fayette avait fait venir des États-Unis une quantité de terre suffisante pour le