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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/423

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

turba. Faut-il regretter qu’à l’exemple des Aonides, elle n’ait point célébré cette passion qui, selon l’antiquité, déride le front du Cocyte, et le fait sourire aux soupirs d’Orphée ? Aux concerts de madame Tastu, l’amour ne redit que des hymnes empruntés à des voix étrangères. Cela rappelle ce que l’on raconte de madame Malibran[1] : lorsqu’elle voulait faire connaître un oiseau dont elle avait oublié le nom, elle en imitait le chant.

    Chateaubriand répondit par la lettre suivante :

    « Paris, le 18 juillet 1827,

    « Si la célébrité, Mademoiselle, est quelque chose de désirable, on peut la promettre sans crainte de se tromper à l’auteur de ces vers charmants :

    Mais il est des moments où la harpe repose,
    Où l’inspiration sommeille au fond du cœur.

    « Puissiez-vous seulement, Mademoiselle, ne regretter jamais cet oubli, contre lequel réclament votre talent et votre jeunesse.

    « Je vous remercie, Mademoiselle, de votre confiance et de vos éloges. Je ne mérite pas les derniers. Je tâcherai de ne pas tromper la première ; mais je suis un mauvais appui. Le chêne est bien vieux ; et il s’est si mal défendu des tempêtes, qu’il ne peut offrir d’abri à personne.

    « Agréez de nouveau, je vous prie, Mademoiselle, mes remerciements et les respectueux hommages que j’ai l’honneur de vous offrir. « Chateaubriand. »

  1. Maria-Félicita Garcia, fille du compositeur et chanteur espagnol Manuel Garcia, née à Paris en 1808. Elle avait débuté en 1825 à l’Opéra italien de Londres. L’année suivante, à New-York, elle épousa un banquier, M. Malibran, dont elle devait immortaliser le nom, mais dont elle fut presque aussitôt obligée de se séparer. Le 12 janvier 1828, elle se fit entendre pour la première fois à Paris. Son succès fut prodigieux. Réunissant les deux voix de soprano et de contralto, cantatrice incomparable, Mme Malibran était peut-être plus admirable encore comme tragédienne. Elle venait de se remarier avec le violoniste Blériot (30 mars 1836), lorsqu’elle mourut, moins de six mois après, le 26 septembre, à Manchester, des suites d’une chute de cheval