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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/447

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sa poitrine en dépit du bandeau qui la soutenait, disputant minute à minute sa réconciliation avec le ciel, sa nièce jouant auprès de lui un rôle préparé de loin entre un prêtre abusé et une petite fille trompée ; il a signé de guerre lasse (ou peut-être n’a-t-il pas même signé), quand sa parole allait s’éteindre, le désaveu de sa première adhésion à l’Église constitutionnelle ; mais sans donner aucun signe de repentir, sans remplir les derniers devoirs du chrétien, sans rétracter les immoralités et les scandales de sa vie. Jamais l’orgueil ne s’est montré si misérable, l’admiration si bête, la piété si dupe. Rome, toujours prudente, n’a pas rendu publique, et pour cause, la rétractation.

M. de Talleyrand, appelé de longue date au tribunal d’en haut, était contumace ; la mort le cherchait de la part de Dieu, et elle l’a enfin trouvé. Pour analyser minutieusement une vie aussi gâtée que celle de M. de La Fayette a été saine, il faudrait affronter des dégoûts que je suis incapable de surmonter. Les hommes de plaies ressemblent aux carcasses de prostituées : les ulcères les ont tellement rongés qu’ils ne peuvent servir à la dissection. La révolution française est une

    remarque : « Monsieur l’abbé, voyez comme il prie ! » On le voyait en effet, les yeux tantôt ouverts, tantôt abaissés, suivre avec les signes d’une parfaite intelligence tout ce qui se passait autour de lui. Enfin les forces lui manquèrent tout à coup et ses lèvres se fermèrent pour jamais. — L’abbé Dupanloup achève en ces termes son récit : « Dieu voit le secret des cœurs : mais je lui demande de donner à ceux qui ont cru pouvoir douter de la sincérité de M. de Talleyrand, je demande pour eux, à l’heure de la mort, les sentiments que j’ai vus dans M. de Talleyrand mourant, et dont le souvenir ne s’effacera jamais de ma mémoire. » (Vie de Monseigneur Dupanloup, par M. l’abbé F. Lagrange, tome I, chapitre xiv et xv.)