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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/466

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des monarques, des ministres qui pensent être des ministres, des députés qui prennent au sérieux leurs discours, des propriétaires qui, possédant ce matin, sont persuadés qu’ils posséderont ce soir. Les intérêts particuliers, les ambitions personnelles cachent au vulgaire la gravité du moment : nonobstant les oscillations des affaires du jour, elles ne sont qu’une ride à la surface de l’abîme ; elles ne diminuent pas la profondeur des flots. Auprès des mesquines loteries contingentes, le genre humain joue la grande partie ; les rois tiennent encore les cartes et ils les tiennent pour les nations : celles-ci vaudront-elles mieux que les monarques ? Question à part, qui n’altère point le fait principal. Quelle importance ont des amusettes d’enfants, des ombres glissant sur la blancheur d’un linceul ? L’invasion des idées a succédé à l’invasion des barbares ; la civilisation actuelle décomposée se perd en elle-même ; le vase qui la contient n’a pas versé la liqueur dans un autre vase ; c’est le vase qui s’est brisé.

À quelle époque la société disparaîtra-t-elle ? quels accidents en pourront suspendre les mouvements ? À Rome le règne de l’homme fut substitué au règne de la loi : on passa de la république à l’empire ; notre révolution s’accomplit en sens contraire : on incline à passer de la royauté à la république, ou, pour ne spécifier aucune forme, à la démocratie ; cela ne s’effectuera pas sans difficulté.

Pour ne toucher qu’un point entre mille, la propriété, par exemple, restera-t-elle distribuée comme elle l’est ? La royauté née à Reims avait pu faire aller