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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/562

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Louis XVIII pendant le Congrès de Vienne. Sans mauvaise intention, bien au contraire, M. Pallain avait coupé l’herbe sous le pied du prince. Quand vinrent les Mémoires, nous connaissions déjà ce qu’ils renfermaient de plus intéressant. Ce qui devait être une révélation se trouvait n’être plus qu’une redite. En vain Talleyrand, ses dépêches à la main, demandait au lecteur de lui accorder un instant d’attention, de lui donner une heure ou deux : le lecteur refusa de l’entendre, et haussant légèrement les épaules, lui dit : « Mon brave homme, que venez-vous faire ici ? on vous a déjà donné ! » Pareille mésaventure, dans une mesure bien moindre, il est vrai, arrive aujourd’hui à M. Pasquier. Lui aussi a inséré dans ses Mémoires quelques-unes des dépêches de Talleyrand, et il croyait bien qu’elles auraient pour le lecteur l’intérêt de l’inédit. Il se trouve maintenant qu’elles ont déjà été publiées deux fois. Les chapitres qu’il a consacrés au Congrès de Vienne n’en demeurent pas moins très intéressants, et, sur plusieurs points très neufs. Seulement, je le répète, ils sont, en ce qui touche Talleyrand d’une sévérité qui va jusqu’à l’injustice.

Il ne faut pas perdre de vue les conditions dans lesquelles s’ouvrait le Congrès au commencement du mois d’octobre 1814. La France était vaincue, écrasée, réduite à n’être plus qu’une puissance de second ordre. L’objet principal du Congrès était de répartir entre les Alliés les territoires conquis par leurs armes ou cédés par le traité de Paris du 30 mai 1814. Or, par l’un des articles de ce traité, la France s’était engagée d’avance à reconnaître le partage qui serait fait par les Alliés, et par les Alliés seuls. Dans les premiers jours de juin 1814, à Londres, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie avaient signé un traité par lequel elles s’engageaient à tenir chacune 75 000 hommes sur pied, jusqu’à ce que la situation de l’Europe fût définitivement fixée. Elles restaient donc, malgré la paix,