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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/59

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

que je viens le détrôner ? M. le cardinal de Latil[1] n’aura-t-il aucun souci ? Le triumvirat ne profitera-t-il pas de la malencontre pour me faire fermer les portes au lieu de me les faire ouvrir ? Rien de plus aisé : un mot dit à l’oreille du gouverneur, mot que j’ignorerai toute ma vie. Dans quelle inquiétude seront mes amis de Paris ? quand l’aventure s’ébruitera, que n’en feront point les gazettes ? que d’extravagances ne débiteront-elles pas ?

Et si le grand burgrave ne juge pas à propos de me répondre ? s’il est absent ? si personne n’ose le remplacer ? que deviendrai-je sans passe-port ? où pourrai-je me faire reconnaître ? à Munich ? à Vienne ? quel maître de poste me donnera des chevaux ? Je serai de fait prisonnier dans Waldmünchen.

Voilà les dragons qui me traversaient la cervelle ; je songeais de plus à mon éloignement de ce qui m’était

    appelé au ministère des affaires étrangères, où il remplaçait Chateaubriand, qui, je crois bien, lui en a toujours gardé rancune. Le 4 janvier 1828, il fut enveloppé dans la chute du cabinet de M. de Villèle. Le 23 avril 1827, après la mort du duc de Rivière, il avait été choisi par le roi pour être gouverneur du duc de Bordeaux. Il suivit son élève en exil, et continua ses fonctions jusqu’au mois de novembre 1833. La retraite du baron de Damas dans sa terre d’Hautefort, en 1834, fut pour lui le commencement d’une vie nouvelle. « Quelque chose de l’apôtre, dit M. Poujoulat, apparaissait dans ce gentilhomme possédé de la passion du bien. Il voulait rendre meilleurs et plus heureux les hommes au milieu desquels devait s’écouler le reste de sa vie. » Il mourut le 6 mai 1862. Ses dernières paroles furent celles-ci : « Priez, mes enfants, pour que je finisse sans lâcheté, mais aussi, sans confiance exagérée. »

  1. Sur le cardinal de Latil, voir au tome V la note 1 de la page 158 (note 24 du Livre XIII de la Troisième Partie). — Premier aumônier du roi Charles X, il l’accompagna sur la terre étrangère et ne revint en France qu’en 1836, après la mort de son maître. Il mourut en 1839, la même année que M. de Blacas.