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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/69

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

me coucher avec l’espérance ; je ne l’avais pas serrée dans mes bras depuis longtemps ; mais elle ne vieillit point, et on l’aime toujours, malgré ses infidélités.

Selon Tacite, les Germains croient la nuit plus ancienne que le jour : nox ducere diem videtur. J’ai pourtant compté de jeunes nuits et des jours sempiternels. Les poètes nous disent aussi que le Sommeil est le frère de la Mort : je ne sais, mais très certainement la Vieillesse est sa plus proche parente.

23 mai 1833.

Le 23, au matin, le ciel mêla quelques douceurs à mes maux : Baptiste m’apprit que l’homme considérable du lieu, le brasseur de bière, avait trois filles, et possédait mes ouvrages rangés parmi ses cruchons. Quand je sortis, le monsieur et deux de ses filles me regardaient passer : que faisait la troisième demoiselle ? Jadis m’était tombée une lettre du Pérou, écrite de la propre main d’une dame, cousine du soleil, laquelle admirait Atala ; mais être connu à Waldmünchen, à la barbe du loup de Haselbach, c’était une chose mille fois plus glorieuse : il était vrai que ceci se passait en Bavière, à une lieue de l’Autriche, nargue de ma renommée. Savez-vous ce qui me serait arrivé si mon excursion en Bohême n’eût été entreprise que de mon chef ? (Mais que serais-je allé faire pour moi seul en Bohême ?) Arrêté à la frontière, je serais retourné à Paris. Un homme avait médité un voyage à Pékin ; un de ses amis l’aperçoit sur le pont royal à Paris : « Eh comment ! je vous croyais en Chine ? — « Je suis revenu : ces Chinois m’ont fait des difficultés à Canton, je les ai plantés là. »