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Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t6.djvu/76

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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

viens-tu des tendresses que tu me disais quand tu étais jeune ? vraiment tu ne parlais pas trop mal de moi. D’où vient maintenant ton silence ? Où vas-tu seul et si tard ? Tu ne cesses donc de recommencer ta carrière ? »

Ô lune ! vous avez raison ; mais si je parlais bien de vos charmes, vous savez les services que vous me rendiez ; vous éclairiez mes pas, alors que je me promenais avec mon fantôme d’amour ; aujourd’hui ma tête est argentée à l’instar de votre visage, et vous vous étonnez de me trouver solitaire ! et vous me dédaignez ! J’ai pourtant passé des nuits entières enveloppé dans vos voiles ; osez-vous nier nos rendez-vous parmi les gazons et le long de la mer ? Que de fois vous avez regardé mes yeux passionnément attachés sur les vôtres ! Astre ingrat et moqueur, vous me demandez où je vais si tard : il est dur de me reprocher la continuation de mes voyages. Ah ! si je marche autant que vous, je ne rajeunis pas à votre exemple, vous qui rentrez chaque mois sous le cercle brillant de votre berceau ! Je ne compte pas des lunes nouvelles, mon décompte n’a d’autre terme que ma complète disparition, et, quand je m’éteindrai, je ne rallumerai pas mon flambeau comme vous rallumez le vôtre !

Je cheminai toute la nuit ; je traversais Teinitz, Stankau, Staab. Le 24 au matin, je passai à Pilsen, à la belle caserne, style homérique. La ville est empreinte de cet air de tristesse qui règne dans ce pays. À Pilsen, Wallenstein espéra saisir un spectre : j’étais aussi en quête d’une couronne, mais non pour moi.