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Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/134

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Il resta debout un moment, puis, pendant qu’Archer s’élançait vers son cabinet de toilette, le bibliothécaire le suivit lentement et se rendit dans sa chambre, à proximité de la bibliothèque.

Une autre personne demeurait absorbée dans ses pensées, bien que la représentation fût finie depuis longtemps. C’était l’auteur de la pièce, qui ne comprenait plus comment elle l’avait écrite. Il semblait à Olive Ashley qu’elle avait gratté une allumette et que la petite flamme s’était élargie soudain jusqu’aux splendeurs du soleil de minuit, ou qu’après avoir achevé un de ses anges rouge et or, la face peinte avait soudain parlé et prononcé des paroles redoutables. Car ce fou de bibliothécaire, mué pour une heure en roi de théâtre, avait répandu des flots de poésie que nul n’aurait jamais soupçonnés en lui et que le poète lui-même n’avait pas mis dans sa pièce. Olive ne reconnaissait plus les vers qu’elle avait écrits. Ils sonnaient comme ceux qu’elle aurait voulu écrire. Herne avait le don de faire paraître chaque vers plus sublime que le précédent ; et cependant ce n’étaient que ses gentils petits vers à elle. Le moment qui étincelait dans sa mémoire, comme dans celle de beaucoup d’auditeurs moins sensibles, était celui où le Roi, qu’on venait d’arrêter comme proscrit, refuse sa propre couronne et déclare que dans un monde de princes pervers, il préfère la vie errante des bois :

« Moi qui vibre au matin avec les hautes cimes des arbres !

« Déchoirai-je jusqu’à devenir le Prince d’Autriche, cette brute et ce brigand qui m’a pris au piège ?

« Ou serai-je un esclave, un espion, un félon, un Roi de France ?

« Quelles autres couronnes portent de l’ombre sur cette terre ?