Aller au contenu

Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se mettre en colère devant un chapeau pareil. Mais ce chapeau déparait le paysage depuis longtemps, sans que le Roi d’Armes y eût prêté la moindre attention ; et maintenant les deux hommes semblaient avoir passé à un sujet tout différent. Herne semblait à son tour raconter une histoire. Il la racontait d’une manière étrange, directe et sincère, un peu comme si elle était tirée de la Bible. Archer n’y comprenait rien, sinon que c’était l’histoire d’un vieil homme qui avait une fille, et elle l’avait suivi fidèlement dans ses courses errantes, après qu’il avait été dévalisé par des brigands et qu’il avait vécu de mauvais jours. Ils étaient tout l’un pour l’autre, des êtres inoffensifs, qui ne menaçaient rien et ne provoquaient personne. Mais jusque dans leur trou, ils furent relancés avec une malignité froide et sans cause, par des inconnus qui n’avaient même pas l’excuse de la haine. Ils examinèrent l’homme comme s’il eût été un animal et l’entraînèrent comme s’il était déjà un cadavre. Ils ne tinrent aucun compte des vertus tragiques qu’ils foulaient aux pieds, ni de ce lis de fidélité qu’ils piétinaient dans la fange.

— Vous, cria le Roi d’Armes, interpellant avec indignation ses ennemis absents, vous qui nous accusez de relever la tyrannie et de ramener les couronnes d’or des barbares ! Est-il écrit des choses pareilles sur les rois ? En est-il même sur les tyrans ? Raconte-t-on de telles histoires sur le Roi Richard ? Raconte-t-on rien de pareil même sur le Roi Jean ? A-t-on jamais dit de ce tyran, de ce puissant chasseur devant l’Éternel ou devant le Diable, qu’il ait arrêté sa chasse pour retourner une pierre et voler les œufs des insectes, ou battu l’eau d’un étang pour séparer les têtards de la grenouille ? Quand eut-il cette perversité mesquine qui ne peut rien laisser en paix, qui