Page:Chesterton - Le Retour de Don Quichotte.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je ne pense pas que vous ayez beaucoup l’expérience de ce qui empoigne réellement un public. Naturellement, personne ne doute que cela n’aille très bien en un certain sens. Il est peu probable que nous fassions un four.

— Quel four ? demanda M. Herne avec un doux intérêt.

— Il est certain que personne ne criera, ne sifflera et ne nous jettera d’œufs pourris dans le salon de Lord Seawood, continua Archer ; mais on peut sentir si le public est empoigné ou non. Si Miss Ashley ne met pas un peu plus de sel dans le dialogue, je ne suis pas sûr d’emballer mon public.

Herne essayait d’écouter poliment, car à ses yeux le jardin était en train de prendre le vague aspect d’un spectacle de rêve. Bien loin, à l’extrémité d’un tapis de gazon, parmi des arbres légers, il aperçut la silhouette de la Princesse de la pièce : Rosamund était vêtue de sa magnifique tunique bleue et portait sa coiffure fantastique. Quand elle déboucha au tournant du sentier, elle fit un grand geste, à la fois de liberté et de lassitude, étendant les bras comme si elle se détirait. Les longues manches pointues qu’elle portait lui prêtèrent l’apparence d’un oiseau battant des ailes (un oiseau de paradis, comme avait dit l’acteur mondain). Une pensée vague s’ébaucha dans l’esprit du bibliothécaire : c’était sans doute l’oiseau rare que nul ne mettrait en cage. Mais, tandis que la Princesse bleue approchait par les allées verdoyantes, le bibliothécaire commença de penser que le geste de Rosamund devait avoir un autre motif ; c’était probablement un geste d’impatience, et même de dépit.

— Voilà du propre ! dit-elle avec indignation, en déployant un télégramme et en jetant autour d’elle