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Page:Choquette - Claude Paysan, 1899.djvu/101

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Claude Paysan

À ce moment-là, oui, Jacques le sentit, si on lui avait dit : reste, il ne serait point parti. Dans cette crainte, il embrassa rapidement la pauvre vieille Julienne, la serrant bien fort contre lui, pour qu’elle ne lui parlât point. Puis il saisit son petit bagage, laissé au dehors sur le perron, et s’enfuit.

… Avant d’atteindre la gare, à un tournant d’où l’on pouvait, surveiller au loin l’arrivée des trains, il y avait un bois épais, formé de pins gigantesques, que coupait en deux une ravine profonde. Pour être plus seuls, loin des yeux et des oreilles, ils s’étaient assis tous les deux sous ces grands pins en attendant le passage de l’express.

— Et tu reviendras ? disait Claude…

— Sans doute, que je reviendrai, lui répondait Jacques.

— Et tu seras riche ?…

— Je tâcherai de l’être, au moins…

— Alors tu en prendras soin de ma mère ?

— Oui, j’en prendrai soin… N’est-elle pas aussi un peu la mienne ?… Mais tu me parles comme si c’était toi qui t’en irais, Claude…

— En effet, tu m’amènes plus que tu ne le crois, va ; il y a une bonne part de moi-même que tu emportes, et qui suivra partout ton souvenir…

Claude disait vrai, mais en retour, il ressentait qu’il y aurait aussi une bonne part de Jacques qui lui resterait, qui l’accompagnerait toujours, qui battrait encore le grain à son côté, qui jaserait avec lui les longs soirs d’hiver, qui doublerait son pas solitaire dans son champ… seulement il ne les enten-