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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/114

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accorder vos éloges, en vous conduisant comme des parasites, plus mal encore que des parasites. Les pauvres ont beau être méprisés, ils ont leur franc parler cependant : vous autres, vous ne l’avez même pas. Tel est l’état de bassesse et d’abjection où vous êtes : vous avez peur, vous tremblez, et vos commensaux ne daignent pas faire attention à vous. Le plaisir est donc banni de cette table des grands ; tandis qu’à l’autre ce n’est que contentement et joie.
5. Mais examinons le repas en lui-même. À la table des grands, il faut, bon gré mal gré, boire avec excès ; à la table des pauvres, on peut, si l’on veut, s’abstenir de boire et de manger. À la première de ces tables le plaisir que fait naître la sensualité est donc banni d’abord par la gêne, puis par le malaise qui suit la satiété. La plénitude est aussi funeste et aussi douloureuse que la faim. Que dis-je ? Elle est plus funeste encore. Qu’on me livre un homme, j’en viendrai plutôt à bout par les excès que par la faim. C’est qu’en réalité la faim est plus facile à supporter. Tel est capable de résister à la faim, durant vingt jours, qui ne résistera pas à deux jours d’excès. Ces paysans toujours en butte avec la faim sont bien portants et n’ont pas besoin des secours de la médecine ; mais ceux qui vivent dans l’orgie, n’y résistent qu’à force de remèdes, encore la débauche, devenue tyrannique, rend-elle souvent inutile l’art du médecin. Sous le rapport du plaisir qu’on y trouve, la seconde table a donc l’avantage sur la première. Car si l’honneur vaut mieux que la honte, la liberté que la dépendance, l’assurance que la crainte et l’effroi, la frugalité que l’intempérance qui se noie dans les délices, la seconde table, même au point de vue purement sensuel, vaut mieux que l’autre. Sous le rapport de la dépense, elle a encore l’avantage : elle est peu coûteuse, tandis que l’autre engloutit des sommes immenses.
Mais quoi ? n’est-ce qu’aux convives, n’est-ce pas aussi à l’amphitryon que cette table est plus agréable que l’autre ? Celui qui invite les grands s’y prend plusieurs jours à l’avance pour faire ses préparatifs ; il se donne nécessairement beaucoup de mal, beaucoup de peine, beaucoup de tracas ; il ne dort ni jour ni nuit ; il se met l’imagination à la torture ; il entre en pourparler avec les cuisiniers, avec les pourvoyeurs, avec ceux qui dressent la table. Quand le grand jour arrive, regardez-le bien : le voilà plus inquiet qu’un athlète qui va disputer le prix du pugilat. Il craint les accidents, les jaloux, les mauvaises langues. L’amphitryon des pauvres, au contraire, est libre de tout soin et de tout tracas ; il met lui-même la table ; il ne s’inquiète pas plusieurs jours d’avance. Et puis les grands ne savent pas longtemps gré à celui qui les invite, tandis que celui qui traite les pauvres est le créancier de Dieu ; il est plein d’espérance, et chaque jour il savoure la joie de ce festin. Le gré qu’on lui sait ne disparaît pas comme les mets. Il est plus heureux chaque jour que celui qui s’est gorgé de vin. Le meilleur aliment de l’âme en effet, c’est l’espoir, c’est l’attente du bonheur. Mais voyons la suite.
Au festin des grands, les cithares, les flûtes, les instruments de toute sorte font entendre leurs accords. Au festin du pauvre point de bruits discordants ; des hymnes et des psaumes s’élèvent dans les airs. Là ce sont des chants en l’honneur du démon ; ici c’est Dieu notre souverain maître que l’on bénit. Ici quelles actions de grâces ! Là quelle ingratitude ! quelle légèreté ! quel abrutissement ! Comment ! c’est Dieu qui vous nourrit, et, au lieu de le remercier de la nourriture qu’il vous donne, c’est le démon que vous invoquez ! Car tous vos concerts ne sont que des hymnes au démon. Quoi ! au lieu de dire : Vous êtes béni, ô mon Dieu, parce que vous m’avez nourri de vos biens, vous perdez le souvenir de ces biens comme un chien sans pudeur, et c’est le démon que vous invoquez ! Mais que dis-je ? Les chiens, qu’on leur donne ou non quelque chose, caressent les gens de la maison ; mais vous, ce n’est pas là ce que vous faites. Le chien caresse son maître, lors même que son maître ne lui donne rien, et vous aboyez, vous, contre la main qui vous nourrit. Le chien, quand une personne qui lui est antipathique, lui fait du bien, ne cesse pas, pour cela, d’être son ennemi et ne s’attache pas à elle. Et vous, à qui le démon a fait tant de mal, vous le faites figurer dans vos festins. Vous valez donc deux fois moins qu’un chien.
J’ai bien fait de citer l’exemple du chien à ces hommes dont la reconnaissance est toujours intéressée. Oui, rendez hommage aux chiens qui, même affamés, caressent leurs maîtres ; vous, si vous entendez dire que le démon a rendu quelques services à un homme,