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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/120

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il dit : « Il nous a fait passer » dans le royaume, comme on fait passer des soldats d’un lieu dans un autre. Il n’a pas dit : Il nous a « conduits », il nous a « placés », car alors nous n’y serions pour rien. Il « nous a fait passer », dit-il, ce qui montre que l’homme aussi y a mis du sien. « Dans le royaume de son Fils bien-aimé ». Il n’a pas dit : Dans le royaume des cieux ; il a donné plus d’éclat et de poids à son expression, en disant : « Dans le royaume de son Fils ». Quoi de plus flatteur pour l’homme ? Ailleurs, du reste, il dit aussi : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ». (2Tim. 2,12). Il a daigné nous faire le même honneur qu’à son Fils. Et l’apôtre ne se contente pas de dire : « De son Fils » ; il dit : « De son Fils bien-aimé ». À cette épithète il joint les titres naturels de ce Fils : « Qui est l’image du Dieu invisible ». Mais il n’aborde pas tout aussitôt ce chapitre. Il parle d’abord du grand bienfait de Dieu. — De peur qu’on ne s’imagine que ce bienfait tout entier vient du Père, et que le Fils n’y est pour rien, il l’attribua dans son entier au Père et dans son entier au Fils. Le Père nous a fait entrer dans le royaume du Fils ; mais le Fils nous a mis en état d’y entrer. Que dit l’apôtre en effet ? « Qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres ». Expression qui se lie intimement à celle-ci : « Par le sang duquel nous avons été rachetés et avons obtenu la rémission de nos péchés ». Voici le mot par lequel, par le sang duquel » qui revient ici. Et il parle d’une rédemption pleine et entière qui doit nous empêcher de faillir et de redevenir mortel.
« Qui est l’image du Dieu invisible, et qui est né avant toutes les créatures ». Nous tombons ici sur des mots qui ont donné naissance à une hérésie. Nous différons donc notre explication et demain nous satisferons, sur ce point, votre curiosité. Mais s’il faut dire ici quelque chose de plus, avouons que l’œuvre du Fils est la plus grande. Comment cela ? C’est qu’en restant au milieu des liens du péché, nous ne pouvions entrer dans son royaume ; en nous délivrant, il nous en a facilité l’entrée, et ce sont ses bienfaits qui nous en ont frayé le chemin. Que dis-je ? En nous remettant nos péchés, il nous y a amenés. Voilà dès à présent un dogme bien établi.
4. En terminant, nous avons encore un mot à dire. C’est qu’après avoir reçu un si grand bienfait, nous devons toujours en conserver la mémoire, toujours réfléchir à cette faveur divine, aux maux dont nous avons été délivrés, aux biens que nous avons acquis, et alors nous serons reconnaissants, alors nous sentirons s’augmenter en notre cœur notre amour pour Dieu. Quoi donc ! ô homme, vous êtes appelé à un royaume, au royaume du Fils de Dieu, et vous tardez, vous hésitez, vous restez plongé dans la torpeur ! S’il vous fallait chaque jour vous élancer, à travers mille morts, à une pareille conquête, ne devriez-vous point braver tous les périls ? Pour obtenir une place de magistrat, il n’est rien que vous ne fassiez ; pour participer à la royauté du Fils unique de Dieu, vous n’êtes pas prêt à braver mille glaives menaçants, à vous précipiter au milieu des flammes ! Chose plus grave encore, au moment de quitter ce monde, vous vous lamentez, vous vous plaisez à demeurer en cette vie, tant vous tenez à votre corps ! Quoi donc ? La mort est-elle pour vous si terrible ? Ah ! j’aperçois la cause de vos craintes ; c’est que vous menez une existence molle et oisive. Quand la vie est amère, on voudrait avoir des ailes pour en sortir. Mais nous ressemblons à des poussins frêles et délicats qui voudraient toujours rester dans leur nid. Et cependant, plus nous y resterons, plus nous deviendrons faibles.
Qu’est-ce que cette vie en effet ? C’est un nid de paille et de boue. Vous avez beau me montrer vos grands édifices, vos palais tout brillants d’or et de pierres précieuses, je dirai toujours : Nids d’hirondelles que tout cela. À l’approche de l’hiver, tout cela tombe de soi-même ; or, j’appelle l’hiver ce jour qui n’est pourtant pas l’hiver pour tous les hommes. Ce temps-là, Dieu l’appelle le jour et la nuit c’est la nuit pour les pécheurs ; c’est le jour pour les justes. Moi donc, à mon tour, je l’appelle l’hiver. Si, pendant l’été, nous ne sommes pas élevés de manière à pouvoir nous envoler, quand l’hiver arrivera, nos mères ne nous accueilleront pas ; elles nous laisseront mourir de faim ou périr au moment où tombera notre nid. Toute cette demeure terrestre, Dieu va la nettoyer, comme l’hirondelle nettoie son nid et plus facilement encore. Dieu va tout détruire, tout rétablir, tout mettre à sa place. Ces âmes incapables de voler, ces âmes qui ne peuvent traverser les airs, pour aller à Dieu, et qui ont reçu une éducation trop basse et trop servile pour se confier à la légèreté de