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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/324

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sur la terre appartient, non à nous, mais à notre vie, et souvent même nous abandonne de notre vivant. Ce qui est à nous, ce sont uniquement les biens de l’âme, la miséricorde et la bonté. Les biens matériels, ce sont les choses du dehors, suivant l’expression usitée même chez les païens ; elles sont effectivement en dehors de nous. Sachons donc les faire passer au nombre des biens qui sont à nous. Celui qui sort de ce monde ne peut emporter ses richesses, mais il peut recevoir miséricorde. Envoyons plutôt ces biens devant nous pour nous préparer un tabernacle dans les demeures éternelles.
3. Le nom que nous donnons aux richesses ( χρήματα) vient de celui de l’usage ( χεχρῆσθαι) et non de la possession : en avoir, c’est en user et non les posséder. Dites-moi combien de maîtres a eus un champ, et combien il en aura. Il est un proverbe bien sage (car il ne faut pas dédaigner les proverbes populaires s’ils contiennent quelque sage pensée) Champ, dis-moi à combien de gens tu as été, à combien de gens tu seras. Et la même chose doit se dire des maisons et de l’argent. La vertu seule sait nous accompagner dans ce grand voyage et passer avec nous dans l’autre vie. Rompons nos liens, éteignons en nous le désir des richesses, afin de nous attacher à celui des biens futurs. Ces deux amours ne peuvent posséder une même âme. « Car ou elle aimera l’un et haïra l’autre, ou elle s’attachera à l’un et méprisera l’autre ». (Mt. 6,24) Considérez, s’il vous plaît, un homme traînant à sa suite un grand nombre de serviteurs, faisant reculer la foule, couvert de vêtements de soie, porté sur un cheval et dressant la tête. N’en soyez point ébahi : il n’est que risible. De même que vous riez quand vous voyez des enfants jouer au souverain, faites-en de même en ce cas ; l’un ne diffère pas de l’autre, ou plutôt le jeu des enfants est plus acceptable, à cause de la grande simplicité de leur âge. Ils n’en font qu’un sujet de rire et d’amusement, au lieu que cet homme est ridicule et plein d’impudence.
Glorifiez Dieu de ce qu’il vous a éloigné de ce rôle théâtral et de cet orgueil. Si vous le voulez, marchant à pied, vous serez plus élevé que l’homme porté sur un char. Et comment ? Parce que, si son corps est quelque peu élevé au-dessus de la terre, son âme y est attachée, « Et ma force s’est attachée à ma chair ». (Ps. 101,6) Votre pensée, au contraire, plane dans les cieux. – Cet homme a des serviteurs qui lui font faire place. – Eh bien ! est-ce lui ou son cheval qui est le plus honoré ? Quelle pire folie que de chasser des hommes pour qu’un animal ait la voie large devant lui ? – Mais il y a quelque chose de respectable à être porté sur un cheval. Cet honneur lui est commun avec ses esclaves. Il est des gens si orgueilleux qu’ils se font suivre sans aucun besoin. Quoi de plus insensé que ceux-là qui veulent attirer les regards par leurs chevaux, la magnificence de leurs habits, les serviteurs qui les suivent ? Quoi de plus frivole qu’une gloire qui résulte des chevaux et des serviteurs ? Etes-vous vertueux ? n’usez point de pareilles choses ; que votre parure soit en vous-même et ne provienne pas d’ornements étrangers. Des misérables, des coquins, des gens grossiers, tout homme enfin, pourvu qu’il soit riche, peut en avoir autant. Des mimes et des danseurs vont à cheval et ont un serviteur qui court devant eux ; ils n’en sont pas moins des mimes et des danseurs ; leurs chevaux et leurs suivants ne les ont pas rendus vénérables. Lorsqu’un homme entouré de cet appareil ne possède aucun des biens de l’âme, tous ces avantages extérieurs sont vains et sans valeur. De même que tout ce dont on revêt un corps débile et corrompu ne l’empêche pas d’être repoussant et corrompu ; de même ici l’âme ne tire aucun avantage de ces objets extérieurs, mais demeure corrompue, s’entourât-on de mille bijoux. N’en soyons donc point fascinés ; éloignons-nous des avantages qui passent, attachons-nous à de plus grands biens, aux biens spirituels, qui nous rendent vraiment respectables, afin d’obtenir le bonheur à venir. Soyons-en tous jugés dignes en le Christ Jésus Notre-Seigneur, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.