Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/362

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par faire ce qui dépend de nous. Cet Esprit qui fait que nous crions « Abba, notre Père », nous inspire aussi l’amour pour lui, et l’amour pour le prochain, afin que nous nous aimions les uns les autres. Car de la force et de l’intrépidité naît la charité. Rien ne dissout l’amitié comme la timidité et l’appréhension de trahison. – « Car Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais un esprit d’amour, de force et de sagesse ». Il entend par sagesse le bon état de la pensée et de l’âme, ou encore il veut dire que l’Esprit nous rend sages, et qu’il nous maintient dans la sagesse, quoiqu’il arrive et qu’il retranche le superflu. Soyons donc sans douleur dans les maux qui nous arrivent, c’est en quoi consiste la sagesse. « Ne vous hâtez point », est-il dit, « au temps de l’obscurité ». (Sir. 2,2) Beaucoup trouvent le chagrin sans sortir de leur maison. Nous avons cela de commun que nous sommes tous dans le chagrin, mais nous différons par les causes de nos douleurs. La peine vient à celui-ci de sa femme, à celui-là de son enfant, à un autre d’un serviteur, à un autre d’un ami, à un autre d’un ennemi, à un autre d’un voisin, à un autre enfin d’une perte qu’il a faite. Les causes de nos peines sont nombreuses et diverses. Il est complètement impossible de trouver quelqu’un qui soit exempt de peine et d’ennui ; l’un en a plus, l’autre moins. Ne nous révoltons donc point, et soyons persuadés que nous ne sommes pas seuls dans la peine.

3. Il n’est pas possible, quand on est homme et que l’on est encore dans cette vie fugitive d’ici-bas, que l’on soit sans chagrin. Si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain, si ce n’est pas demain, ce sera plus tard que viendra le chagrin. De même que l’on ne peut être sans crainte lorsqu’on navigue sur une grande mer, de même il est impossible, tant qu’on est dans cette vie, de ne pas éprouver de dégoût et de peine ; je n’excepte pas le riche. Car puisqu’il est riche, nécessairement beaucoup d’occasions sollicitent sa concupiscence. Je n’excepte pas le roi. Car lui-même subit la domination de beaucoup de choses ; il ne mène pas tout à son gré ; que de choses contrarient sa volonté ! C’est l’homme du monde qui fait le moins ce qu’il voudrait. Pourquoi ? Parce que beaucoup veulent prendre part à ce qu’il fait. Or, songez dans quel abattement il est lorsqu’il veut faire quelque chose et qu’il ne le peut par crainte, par méfiance, à cause des ennemis, à cause des amis. Souvent, lorsqu’il entreprend quelque chose qui lui plaît, il perd tout le plaisir qu’il y trouve par le grand nombre de ceux qui lui font de l’opposition.

Mais quoi ! pensez-vous que du moins ceux qui mènent une vie inoccupée soient exempts de soucis ? Il n’en est pas ainsi. L’homme ne peut pas plus être exempt de chagrin qu’exempt de mourir. Combien de désagréments ils endurent nécessairement, que notre discours ne peut vous dévoiler, mais que leur expérience leur fait si bien connaître ! Combien ont souhaité la mort au sein même des richesses et des délices ! Car les délices ne mettent pas toujours à l’abri de la douleur. Ou plutôt les délices produisent mille peines, des maladies, des dégoûts. Et même sans cela le chagrin naît de lui-même et sans cause. L’âme en cet état se sent chagrine sans savoir pourquoi. Les médecins disent qu’un estomac malade cause des chagrins hors de propos. N’est-ce pas là ce qui nous arrive lorsque nous sommes chagrins sans que nous en sachions le motif ? En un mot vous ne trouverez personne qui soit sans chagrin. L’homme qui a moins sujet de se chagriner que nous, s’imagine encore avoir raison de s’affliger autant que nous ; parce que ce qui nous touche nous affecte plus que ce qui nous est étranger. Ceux qui souffrent en quelque partie de leur corps se croient toujours les plus affligés du monde ; celui qui a mal aux yeux par exemple croit bien qu’il n’y a pas de douleur comparable aux mal d’yeux. A son tour celui qui souffre de l’estomac regarde ce mal comme le plus cruel de tous. Enfin chacun tient pour le pire des maux celui dont il est affligé. Il en est de même du chagrin ; le plus cruel, au jugement de chacun, est toujours le sien propre. On en juge par son expérience personnelle.

Celui qui n’a pas d’enfant ne voit rien de plus malheureux que de n’avoir pas d’enfant. Celui au contraire qui en a beaucoup et qui est pauvre ne trouve rien de pénible comme d’avoir une famille nombreuse, celui même qui n’en a qu’un dira qu’il n’est rien de pire que de n’en avoir qu’un ; parce qu’il devient paresseux et qu’il cause à son père un continuel chagrin ; parce qu’on l’aime à l’excès et que c’est rare s’il tourne bien. Celui qui a une belle femme dit qu’il n’est rien de pire que d’avoir une belle femme. C’est une source de