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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/447

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des serviteurs peuvent changer les sentiments d’un maître, surtout lorsqu’on demande quelque chose pour un esclave ; du reste c’étaient peut-être eux qui excitaient le plus Philémon contre Onésime. Il ne veut donc pas qu’ils puissent avoir des sentiments de haine, et il daigne parler d’eux à côté de leur maître. Mais il ne veut pas non plus que le maître s’indigne. Or s’il les avait appelés par leurs noms, peut-être se serait-il indigné ; s’il n’avait pas fait mention d’eux, peut-être eût-il été mécontent. Voyez donc quelle prudence éclate dans la manière dont il en parle, lorsqu’il les juge dignes d’être mentionnés, sans cependant offenser Philémon. Le nom d’église qui leur est donné ne permet pas que les maîtres s’indignent s’ils sont comptés avec leurs esclaves. Car l’Église ne connaît pas la différence de l’esclave et du maître ; c’est par leurs bonnes ou leurs mauvaises actions qu’elle fait une distinction entre eux. Si donc ils forment une église, ne t’indigne pas de ce que ton esclave est nommé à côté de toi. « En Jésus-Christ il n’y a ni esclave ni libre ». (Gal. 3,28)
« Grâce et paix ». L’apôtre rappelle à Philémon ses péchés, en le faisant souvenir de la grâce. Pense, dit-il, combien de fautes Dieu t’a remises, et comment tu as été sauvé par la grâce : imite le Seigneur. Il demande aussi pour lui la paix, et avec raison. Car nous la possédons, lorsque nous imitons le Seigneur, lorsque la grâce reste en nous. Ainsi pour cet esclave qui était sans pitié pour son compagnon de servitude, tant qu’il ne lui redemanda pas les cent deniers, la grâce de Dieu resta en lui ; mais lorsqu’il les réclama, elle lui fut enlevée, et il fut lui-même livré aux bourreaux.
2. Pensant à cet exemple, soyons miséricordieux, et pardonnons facilement à ceux qui nous offensent. Les cent deniers, dont il est parlé dans la parabole, ce sont les offenses qu’on nous fait ; mais les offenses que nous faisons à Dieu seraient des milliers de talents. Vous savez, en effet, qu’on juge aussi les fautes d’après la qualité des personnes que nous offensons. Par exemple, celui qui offense un simple citoyen, pèche, mais non pas comme celui qui insulte un prince. L’offense croît à proportion que celui qui l’a reçue est élevé en dignité. Si on offense le roi, la faute est beaucoup plus considérable encore. L’injure est la même, à la vérité, mais elle devient plus grave à cause de la dignité de la personne offensée.
Mais si celui qui blesse un roi, est livré à un supplice intolérable à cause de la considération qui s’attache à la royauté, combien de talents ne devra pas à Dieu celui qui l’aura insulté ? C’est pourquoi, quand les péchés que nous commettons contre Dieu seraient les mêmes que ceux que nous commettons contre les hommes, ils ne seront cependant pas égaux ; il y aura entre eux toute la différence qu’il y a entre l’homme et là divinité.
Mais je trouve un plus grand nombre de fautes encore qui sont très-graves, non seulement par l’excellence de celui qu’elles blessent, mais par elles-mêmes. C’est unie chose horrible que je vais dire, une chose vraiment terrible : il faut la dire cependant, pour qu’ainsi les âmes soient frappées et émues : oui, je vous montrerai que nous craignons les hommes beaucoup plus que Dieu, que nous honorons les hommes beaucoup plus que Dieu ! Faites attention en effet : celui qui commet un adultère sait que Dieu le voit, et il le méprise ; mais si un homme le voit, il réprime sa concupiscence. Celui qui agit ainsi, celui-là non seulement estime les hommes plus que Dieu, non seulement fait une injure à Dieu, mais même, ce qui est plus grave, craint ses semblables et méprise le Seigneur. Car s’il voit un mortel, il éteint la flamme de sa passion, ou plutôt est-ce bien une flamme ? non, c’est une insolence. S’il n’était pas permis d’avoir un commerce avec une femme, on aurait droit de dire que c’est une flamme, mais maintenant c’est une insolence, une débauche ; voit-il des hommes, sa démence tombe aussitôt, mais il se soucie moins de lasser la longanimité de Dieu. De même cet autre qui vole a conscience de son larcin, et il essaie de tromper les hommes, il se défend contre les accusateurs, il donne une apparence spécieuse à sa défense ; mais pour Dieu qu’il ne peut pas tromper, – il n’en a nul souci, il ne le craint pas, il ne l’honore pas. Si un roi nous ordonne de ne pas mettre la main sur l’argent d’autrui, ou même de donner nos propres richesses, nous les apportons aussitôt : et quand Dieu nous ordonne de ne pas ravir, de ne pas prendre les biens des autres, nous n’obéissons pas. Ne voyez-vous pas que nous avons plus d’estime pour les hommes que pour Dieu ?
Ces mots vous sont pénibles et vous blessent, dites-vous ? – Montrez donc par les faits mêmes combien ils vous sont pénibles. Fuyez