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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/539

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bien. – Mais elle rabaisse, dira-t-on ; elle dégrade et avilit aux yeux des hommes. – C’est précisément ce dont nous avons le plus besoin, c’est notre plus grand intérêt. « La pauvreté », dit le Sage, « donne l’humilité ». Et Jésus-Christ « Bienheureux les pauvres de bon gré ! » Quoi ! vous plaindrez-vous d’être sur la voie qui conduit à la vertu ? Ignorez-vous que la pauvreté nous donne une grande confiance auprès de Dieu ? – Mais, répliquez-vous, « le Sage a dit que la sagesse du pauvre n’est pas estimée » (Qo. 9,16) ; il s’écrie ailleurs : « Seigneur, ne me donnez pas la pauvreté ! » (Prov. 30,8) Et « De cette fournaise de la pauvreté, Seigneur, délivrez-moi ! » Mais, s’il est vrai que les richesses comme la pauvreté viennent de Dieu, comment seraient-elles un mal ? Comment accorder tout cela ? – Je réponds que l’on parlait ainsi dans l’Ancien Testament, sous l’empire duquel les richesses comptaient pour beaucoup, tandis que la pauvreté était en grand mépris, tellement qu’on voyait en celle-ci une exécration et une malédiction, tandis que celles-là étaient une bénédiction.
Mais voulez-vous entendre l’éloge de la pauvreté ? Jésus-Christ même l’a prise pour lui : « Le Fils de l’homme », dit-il, « n’a pas où reposer sa tête ». Et parlant à ses disciples : « Ne possédez », leur prescrit-il, « ni or, ni argent, ni deux tuniques ». (Mt. 8,20 ; X, 9) Paul écrivait. Nous sommes comme n’ayant rien, et possédant « tout ». (2Cor. 6,10) Pierre disait à cet homme boiteux de naissance : « Moi, je n’ai ni or ni argent ». (Act. 3,6) Jusque dans l’Ancien Testament, d’ailleurs, alors que les richesses étaient tant admirées, quels étaient cependant, dites-moi, les hommes admirables ? N’est-ce pas Élie, qui ne possédait que son vêtement de peau de brebis ? N’est-ce pas Élisée ? N’est-ce pas Jean-Baptiste ?
Que nul donc, à raison de sa pauvreté, ne soit humilié à ses propres yeux. Ce n’est pas la pauvreté qui humilie ; c’est plutôt la richesse qui vous condamne à avoir besoin de tant de personnes et vous crée à leur égard mille obligations de reconnaissance. Qui fut plus pauvre que Jacob qui disait : « Si le Seigneur me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ? » (Gen. 28,20) Et cependant étaient-ils humiliés de leur pauvreté, Élie et Jean-Baptiste ? Ne parlaient-ils pas au contraire avec beaucoup de hardiesse et de liberté ? N’accusaient-ils pas hautement les rois ; l’un, Achab ; l’autre, Hérode ? A celui-ci, Jean disait : « Il ne t’est pas permis de garder la femme de Philippe ton frère ». (Mc. 6,8) A celui-là, Élie répondait librement et hardiment : « Ce n’est pas moi, c’est vous-même et la maison de votre père, qui jetez le trouble en Israël ». (1R. 18,18) Voyez-vous que cette condition même, que leur pauvreté donnait encore une plus grande confiance et une plus grande liberté de parole ?
En effet, un riche n’est qu’un esclave, parce qu’il peut perdre quelque chose, et qu’il prête le flanc par là même à qui veut le maltraiter. Mais celui qui n’a rien, ne craint ni la confiscation de ses biens, ni le bannissement. Si la pauvreté enlevait aux hommes leur liberté de parole, Jésus-Christ n’aurait pas envoyé ses disciples avec cette pauvreté pour seule arme, à une conquête qui exigeait avant tout une parole libre et confiante.
Le pauvre, lui, est fort et courageux ; il ne donne pas prise à l’injustice, on ne sait par où le maltraiter ; le riche, au contraire, est attaquable et prenable de tous côtés. Qu’un malheureux traîne autour de lui-même des liens nombreux et prolongés, facilement on l’arrête ; mais il est malaisé de saisir et de retenir un homme nu. La première partie de cette image vous peint le riche esclaves, argent, vastes domaines, affaires infinies, soins innombrables, ennuis, accidents, besoins, sont autant de chaînes par lesquelles tout le monde peut aisément le prendre et l’arrêter.
3. Que personne donc n’envisage la pauvreté comme une cause d’infamie et de déshonneur. Ayez la vertu, et toutes les richesses de la terre ne vous seront que de la boue, qu’un fétu de paille en comparaison. Embrassons la pauvreté, si nous voulons entrer dans le royaume des cieux : « Vendez », a dit Jésus, « vendez tout ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un trésor dans le ciel ». Et encore : « Il est difficile à un riche d’entrer dans le royaume des cieux ». (Mt. 19,21, 23) Voyez-vous que si la pauvreté n’est pas déjà votre patrimoine, il faut tâcher de l’acquérir ? tant elle est un bien inappréciable ! Oui, car elle vous mène comme par la main sur le chemin qui conduit au ciel ; elle est comme l’onction des athlètes, comme une gymnastique sublime et merveilleuse, comme un port tranquille. – Mais j’ai de grands besoins, dites-vous, et je ne veux rien recevoir gratuitement de personne. En cela le riche est encore bien plus à plaindre que vous. Peut-être, en effet, ne demandez-vous que le nécessaire ; tandis qu’il a, lui, mille raisons honteuses de désirer la richesse, en particulier l’avarice. Les riches ont des besoins nombreux. Que dis-je, nombreux ? Souvent ils manifestent des besoins indignes d’eux-mêmes ; par exemple, il leur faut faire appel à des soldats, à des esclaves ! Le pauvre, lui, n’a pas même besoin de l’empereur, et, pauvre de bon gré, eût-il besoin, il n’est que plus admirable de s’être réduit à l’indigence volontaire, pouvant être riche.
Non, que personne n’accuse la pauvreté d’être la cause de maux sans nombre ; ce serait démentir Jésus-Christ qui la déclare, au contraire, la perfection de la vertu, quand il dit : « Si vous voulez être parfait »… Il l’a proclamé par ses paroles, il l’a montré par ses exemples, il l’a enseigné par ses disciples. Encore une fois, embrassons la pauvreté : car elle est un grand bien pour les vrais sages. Peut-être déjà me comprend-on parmi mes chers auditeurs, et j’ose croire que plusieurs m’applaudissent. En effet, la grande maladie chez la plupart des hommes est là : telle est la tyrannie de cette passion de l’argent, qu’ils n’auraient pas même le courage de le refuser en paroles, et qu’il est pour eux comme une religion et un dieu. Loin de vous ce malheur, âmes chrétiennes ! Sachez que rien n’est riche