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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/561

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comme il faut des choses de ce monde, parce que nous avons renversé l’ordre. Aussi pleurons-nous, quand il faudrait nous réjouir ; aussi tremblons-nous, comme des assassins, comme des chefs de brigands, qui, prêts à paraître en jugement, se rappellent leurs forfaits et qui en partant, craignent et frissonnent d’épouvante.
Tels n’étaient pas les saints, mais ils avaient hâte d’arriver à leur fin, mais Paul gémissait de l’attendre. Écoutez sa parole : « Nous qui sommes dans cette tente du corps, nous gémissons sous son poids ». (2Cor. 5,4) Tel était Abraham et ses saints compagnons dans la vie : étrangers, selon l’apôtre, sur toute la terre, « ils cherchaient la pairie ». Et quelle patrie ? Celle qu’ils avaient quittée. Non. « Qui les empêchait, en effet, d’y revenir » et d’y garder leur droit de cité ? « Ils cherchaient celle qui est dans les cieux ». Ils avaient hâte de sortir d’ici, et ce sentiment les rendait si agréables à Dieu, « qu’il ne rougissait pas de s’appeler leur Dieu ».
Ciel ! quelle dignité ! « Il lui fut agréable de s’appeler leur Dieu ». Grand apôtre, que dites-vous ? Il s’appelle le Dieu du ciel et de la terre, et vous avez montré comme un titre de grandeur pour lui qu’il ne rougit pas de s’appeler leur Dieu ? Grand honneur, certes, honneur bien grand pour eux, et qui nous prouve leur grande béatitude aussi ! Comment ? C’est qu’on l’appelle Dieu du ciel et de la terre, comme on le nomme le Dieu des nations, parce qu’il est de toutes choses l’auteur et le créateur ;-mais ce nom est appliqué aux saints patriarches dans un autre sens : « Leur » Dieu, il l’est comme on dirait « leur » meilleur ami. Je veux vous rendre cette vérité évidente par un exemple. Voyez ce qui se passe dans les grandes et riches maisons. Leur personnel est souvent commandé par quelques serviteurs choisis parmi les autres, qui sont en grande estime, administrent tout à leur gré, jouissent de la pleine confiance de leur maître, et celui-ci emprunte leur nom. Vous en trouverez plusieurs qui acceptant cette dénomination ; que dis-je d’ailleurs ? Comme on pouvait désigner le Seigneur non seulement sous le nom de Dieu des nations, mais de Dieu de toute la terre, en ce sens aussi on pouvait l’appeler le Dieu d’Abraham. Mais vous ne savez pas quelle dignité cache un tel nom, parce que, hélas ! nous ne savons pas acquérir un semblable honneur. De même, en effet, qu’aujourd’hui le Seigneur est appelé le Dieu de tous les chrétiens, et que ce nom, malgré sa généralité, est bien trop honorable encore pour notre indignité, pensez au moins quelle est la grandeur d’un personnage, quand le Seigneur est appelé son Dieu, le Dieu de lui seul ! Or, le Dieu du monde entier ne rougit pas de s’appeler le Dieu de ces trois patriarches, parce qu’en effet ces trois saints avaient à eux seuls autant de valeur, je ne dis pas que ce monde terrestre seulement, mais qu’une infinité de mondes comme le nôtre ! « Car », dit le Sage, « un seul homme qui fait la volonté de Dieu est meilleur que dix mille impies ». (Sir. 16,3)

Maintenant, qu’ils s’appelassent des passants dans le sens relevé que j’ai dit, la chose est évidente. Au reste, accordons un instant qu’ils se donnaient ce titre simplement parce qu’ils habitaient un pays étranger. Mais alors répondez à David. N’était-il pas, celui-ci, roi et Prophète ? ne vivait-il pas dans sa patrie ? Pourquoi donc dit-il : « Je ne suis qu’un hôte et un étranger ? » Comment expliquer ces noms ? Et il ajoute : « Comme tous mes pères ». Ceux-ci, vous le voyez donc, étaient des étrangers aussi. C’est comme s’il affirmait : Nous avons une patrie, ruais ce n’est pas la patrie véritable. – Où donc êtes-vous un passant ? – Sur la terre ; lui comme eux, eux comme lui.


3. Soyons donc, nous aussi, comme des passagers en ce monde d’un jour, afin que Dieu ne rougisse pas de s’appeler notre Dieu. Car il a honte d’être appelé le Dieu des méchants ; autant il est peiné d’être leur Dieu, autant il se glorifie d’être celui d’enfants honnêtes, bons, vertueux. Ne refusons-nous pas de nous laisser appeler les maîtres de serviteurs méchants ? Oui, nous les désavouons, et si l’on vient nous dire : Tel individu a commis d’innombrables méfaits, ne serait-il pas votre domestique ? – Un « non » énergique est notre réponse ; nous repoussons ce titre comme un outrage, parce qu’entre serviteur et maître, les rapports trop intimes et trop fréquents, font rejaillir sur l’un le déshonneur de l’autre : combien plus notre Dieu devra suivre cette même conduite ! Les saints patriarches avaient une si noble conduite, étaient si confiants en Dieu et si sincères, que le Seigneur, loin de rougir d’emprunter leurs noms, disait pour se désigner lui-même : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ». (Ex. 3,6) Ah ! soyons, nous aussi, mes frères, de ces étrangers dans le monde, de peur que Dieu ne rougisse de nous, oui, qu’il n’en rougisse, hélas ! jusqu’à nous livrer aux flammes de l’enfer.
Ainsi furent indignes de lui ceux qui disaient « Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé en votre nom ? n’avons-nous pas fait en votre nom maints prodiges ? » (Mt. 7,22) Or, écoutez la réponse de Jésus : « Je ne vous connais pas ! » C’est, au reste, la réponse que feraient aussi les maîtres ordinaires qui verraient s’approcher d’eux tels ou tels serviteurs méchants ; ils les repousseraient comme le déshonneur même. – Je ne vous connais pas, dira le Seigneur. – Mais comment punissez-vous ceux que vous ne connaissez pas, ô mon Dieu ? – Je ne vous connais plus, ai-je dit ; en d’autres termes, je vous renie, je vous renvoie !
A Dieu ne plaise que nous entendions jamais cet anathème terrible et mortel ! Si des hommes qui chassaient les démons et avaient le don de prophétie, se virent reniés pour n’avoir pas mis leur conduite en harmonie avec leurs paroles, combien plus Jésus-Christ nous reniera-t-il, nous qui n’avons rien de ces grâces extraordinaires ? Mais, direz-vous, comment est-il possible d’être ainsi renié après avoir prophétisé, fait des miracles, chassé des démons ? – C’est que vraisemblablement plus tard ils s’étaient pervertis et dépravés, de sorte que leurs vertus précédentes leur devinrent inutiles. Car il nous faut avoir non seulement