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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/598

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L’aumône en effet, est, de tous les arts, le meilleur et le plus utile à ceux qui savent l’employer. Amie de Dieu, toujours proche de lui, elle est admise facilement à tout demander pour ceux qu’elle adopte, pourvu que nous ne lui fassions pas d’injustice à elle-même. Or, c’est lui faire injure, que d’être aumôniers de biens volés. Que si, au contraire, l’aumône est pure et véritable, elle communique à ceux qui savent l’épancher, une merveilleuse confiance : tant est grande sa puissance, pour ceux mêmes qui ont péché ! Elle brise leurs fers, dissipe les ténèbres, éteint le feu, tue le ver rongeur, et leur épargne les grincements de dents. Devant elle, les portes des cieux s’ouvrent en toute sécurité. Et comme, lorsqu’une reine fait son entrée, aucun des gardes qui veillent aux portes du palais n’osera jamais s’enquérir de cette majesté ni de ses démarches, et qu’au contraire tous lui feront un humble accueil ; ainsi est reçue l’aumône, parce qu’elle est une véritable reine et qu’elle rend les hommes semblables à Dieu, selon qu’il est écrit : « Soyez miséricordieux, comme votre Père céleste est miséricordieux ». (Lc. 6,36)
Prompte et légère, armée de ses ailes d’or, l’aumône peut prendre un vol qui réjouit les anges. C’est d’elle que le Prophète a dit, « que le plumage de la colombe est argenté ; et que son dos reflète l’éclat de l’or pâlissant ». (Ps. 67,14) Semblable à cette colombe vivante et illuminée d’or, elle prend son essor ; son aspect est souriant, son regard est plein de douceur, et d’une beauté que rien ne dépasse au monde. Le paon lui-même, avec ses splendeurs incontestables, n’est rien auprès d’elle, tant cette habitante des cieux est belle et ravit l’admiration. Son regard toujours s’élève au ciel ; Dieu l’entoure de sa gloire ineffable ; c’est une vierge aux ailes d’or, splendidement parée, et dont les traits respirent la candeur et la mansuétude. C’est l’aigle, aussi puissant que léger, et qui dort au pied du trône royal ; dès que Dieu nous juge, elle retrouve son vol et se montre pour nous couvrir de ses ailes et nous sauver du supplice.
L’aumône ! Dieu la préfère aux sacrifices. Souvent il en parle, tant il l’aime : « Elle recueillera », dit-il, « la veuve, l’orphelin et le pauvre ». Dieu aime à emprunter d’elle son plus doux nom, d’après David qui appelle le Seigneur bon, miséricordieux, patient, clément à l’infini, toujours vrai ». (Ps. 145,9 ; 102, 8 ; 145, 8) Tandis qu’un autre Prophète s’écrie. : « La miséricorde de Dieu règne sur la terre ; c’est elle qui a sauvé le genre humain ». (Ps. 56,12) En effet, s’il n’avait eu pitié de nous, tout aurait péri. Cette miséricorde nous a réconciliés avec lui quand nous étions ses ennemis ; elle nous a comblés de grâces innombrables ; elle a décidé le Fils même de Dieu à se faire esclave, à s’anéantir pour nous.
Ah ! saintement jaloux, mes frères, imitons une vertu qui nous a sauvés ; aimons-la ; estimons-la plus que l’argent, et, si l’or nous manque, ayons du moins le cœur miséricordieux. Bien ne caractérise le chrétien, autant que l’aumône ; rien n’est admiré de l’incrédule, ou pour mieux dire, de tout le monde, comme notre charité miséricordieuse. Nous-mêmes, d’ailleurs, nous avons besoin de cette miséricorde, puisque chaque jour nous disons à Dieu : « Ayez pitié de nous selon votre grande miséricorde ». (Ps. 24,7) Commençons par la pratiquer nous-mêmes ; mais non ! jamais nous ne commençons, puisque Dieu d’abord a montré sa miséricorde envers nous : mais, bien chers frères, suivons cette trace divine. Car si les hommes aiment à rendre pitié pour pitié à celui même qui s’est couvert de crimes, mais qui a été miséricordieux, le Seigneur, bien plus que nous, adopte cette conduite.
Écoutez la parole du Prophète : « Pour moi », dit-il, « je suis dans la maison de Dieu comme l’olivier qui porte son fruit ». (Ps. 51,10) Rendons-nous semblables à l’olivier. De tous côtés les préceptes divins nous pressent : il ne suffit pas qu’on soit l’olivier, il faut être celui encore qui porte son fruit. Il y a des gens qui ont quelque miséricorde, qui, dans l’intervalle de toute une année, donnent une fois, ou qui sont aumôniers chaque semaine seulement, ne donnant presque rien. Par leurs actes de miséricorde, voilà des oliviers, sans doute ; mais à des actes aussi peu larges, aussi peu généreux, vous ne reconnaissez pas des oliviers féconds. Quant à nous, soyons fertiles toujours !
Je l’ai dit souvent, et je le répète aujourd’hui : ce n’est pas l’importance absolue de ce qu’on donne qui constitue la grandeur de l’aumône, mais bien la volonté et le cœur de celui qui donne. Vous connaissez l’histoire de la veuve ; car il est toujours utile de rappeler cet exemple, afin que le pauvre ne désespère pas de lui-même, à la vue de cette femme qui laissait tomber dans le tronc ses deux oboles. Quand on rebâtit le temple, on vit des gens offrir leurs cheveux mêmes, et ces humbles donateurs ne furent point repoussés. Si possédant de l’or, ils avaient fait cette offrande de leur chevelure seulement, ils méritaient d’être maudits ; mais s’ils n’ont fait ce sacrifice que parce que cette aumône seule leur était possible, Dieu les a bénis. C’est ainsi que Caïn fut réprimandé, non pas pour avoir offert des choses sans valeur, mais parce qu’il offrit ce qu’il avait de moindre dans ses propriétés. Car « maudit soit », dit un Prophète, « celui qui possède une victime mâle et « sans défaut, et qui offre à Dieu une bête malade ». (Mal. 1,14) Il ne réprouve pas absolument celui qui présente peu, mais celui qui possède et se montre avare. Donc, celui qui ne possède rien n’est point non plus coupable ; que dis-je ? sa moindre aumône a droit à la récompense. Car est-il plus pauvre sacrifice que celui de deux oboles ? Est-il un don plus misérable que celui d’une chevelure ? Est-il offrande plus vile que celle d’une petite mesure de farine ? Et cependant ces présents ne furent pas moins appréciés de Dieu que les veaux et l’or. Chacun est agréé de Lui en proportion de ce qu’il a, et non en proportion de ce qu’il n’a pas : car, dit l’Écriture, soyez bienfaisant selon ce que votre main possède.
Je vous en prie donc, épanchons sur les pauvres,