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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/70

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à quand durera notre folie ? N’est-ce donc pas assez pour attirer sur vous le supplice éternel, que vous ne fassiez aucune bonne œuvre ? Faut-il encore y joindre les malins propos pour rendre votre châtiment plus sévère ?
Si c’était vous, en effet, qui eussiez fait la prétendue fortune du prêtre, rien qu’en lui reprochant comme un crime ce libre effet de votre générosité, vous auriez perdu votre récompense. Si c’est un don que vous lui avez fait, pourquoi l’accuser ? Vous-même attestez qu’il était pauvre auparavant : ce qu’il a, dites-vous, il le tient de moi. Pourquoi l’accuser, dès lors ? Il ne fallait pas lui donner, si vous deviez lui faire un crime de recevoir. Mais un autre a donné, et vous l’incriminez ! Vous n’êtes que plus coupable, vous qui savez à la fois refuser pour votre compte et accuser ceux qui font le bien !
Quelle sera, pensez-vous, la récompense de ceux qui subissent de tels affronts ? Car ils souffrent pour la cause de Dieu. Ils auraient pu, au lieu du sacerdoce, exercer la profession de simples hôteliers, en supposant que leurs ancêtres ne leur aient rien laissé. On sait bien nous l’objecter avec impudence, quand parfois nous recommandons tel ou tel comme pauvre et nécessiteux. Ne pourrait-il donc s’enrichir, s’il le voulait ? nous dit-on ; et l’outrage s’ajoute à cette réflexion brutale : Son aïeul, son bisaïeul n’étaient que cela, et lui, aujourd’hui même, voyez comme il est bien vêtu ! Mais quoi ! Voulez-vous qu’il aille nu ? Ah ! vous êtes habiles à imaginer des rapprochements cruels ; mais craignez de parler contre vous-mêmes, et entendez l’avis menaçant de Notre-Seigneur : « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés ! » (Mt. 7,1)
Supposons, du reste, qu’il pouvait, à son gré, choisir une profession d’hôtelier, de commerçant qui l’eût mis au-dessus du besoin, et qu’il ne l’a pas voulu. Que gagne-t-il donc maintenant, dites-moi ? Porte-t-il des vêtements de soie ? Traîne-t-il après lui sur la place publique un cortège de nombreux valets ? Monte-t-il un coursier superbe ? Se construit-il des maisons, ayant d’ailleurs une habitation convenable ? Si telle est sa conduite, je le blâme avec vous, et, loin de l’épargner, je le proclame indigne du sacerdoce. Comment, en effet pourra-t-il exhorter les autres à savoir se passer de cet attirail superflu, puisque lui-même : n’est pas assez sage pour cela ? Mais s’il se borne à ne pas manquer du simple nécessaire, est-ce un crime ? Faut-il plutôt qu’il aille de porte en porte demandant son pain ? Et ne seriez-vous pas le premier à en rougir, vous son disciple ? Si votre père selon la nature en était réduit là, vous vous croiriez déshonorés ; mais si votre père spirituel était forcé à se dégrader, ne devriez-vous pas en être honteux jusqu’à ne plus oser vous montrer ? Car, selon l’Écriture, « un père sans honneur est le déshonneur de ses enfants ». (Eccl. 3,13) Eh quoi faut-il donc que ce prêtre meure de faim ? La piété ne le permet pas puisque Dieu le défend.
Or, quand nous répondons ainsi à cette sorte de gens, ils deviennent tout à coup des sages et des docteurs. L’Écriture a prononcé selon eux : « Ne possédez ni or, ni argent, ni deux tuniques, aucune monnaie dans vos ceintures, pas même un bâton ». Mt. 10,9) Or, on vous voit double et triple vêtement et jusqu’à des lits bien couverts.
Hélas ! laissez-moi jeter un profond soupir ; car si la bienséance ne me retenait, je verserais même des pleurs abondants. Pourquoi ? parce que nous savons découvrir si habilement une paille dans l’œil du prochain, sans jamais soupçonner la poutre qui nous aveugle. Comment donc, dites-moi, comment ne prenez-vous pas pour vous-mêmes l’avis de Notre-Seigneur ? Le précepte, répondez-vous, n’est que pour nos maîtres spirituels. Ainsi, lorsque Paul a écrit : « Quand vous avez le vivre et le couvert, sachez être contents » (1Tim. 6,8), il ne parlait non plus qu’à vos pasteurs ? Certainement non, mais à tous les hommes, et tel est le sens évident de ce passage, si vous l’étudiez dans tout son contexte. Il avait dit d’abord : « C’est une grande richesse que la piété, qui se contente de ce qui suffit » ; il poursuivait. :« Car nous n’avons rien apporté dans ce monde, et il est certain que nous n’en pouvons emporter davantage » ; et il conclut aussitôt : « Ayant donc de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. Car ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du démon, et dans maints désirs inutiles et pernicieux ». Voyez-vous comme son discours s’adresse à tous les hommes ? N’est-ce pas encore son langage aux Romains ? « N’ayez point de souci de la chair en