Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/79

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Christ resterait nu. Il vous a donné une maison, non pour la posséder à vous seul, mais pour y recevoir votre prochain. Il vous a donné la terre, non pour dépenser la plus grande partie de vos revenus à l’entretien de prostituées ou de bouffons, à payer des joueurs de flûte, de lyre, de cithare ; ces biens du bon Dieu doivent servir aux malheureux, aux indigents. Il vous a donné la mer pour les besoins de la navigation, mais non pour vous fatiguer par des voyages sans but, pour en sonder curieusement les profondeurs et en extraire les pierres précieuses et autres bagatelles de ce genre ; Dieu n’aime pas une semblable passion.

Alors, direz-vous, à quoi servent les pierres précieuses ? — Répondez-moi plutôt vous-même. Pourquoi tant de valeur à un caillou ? A-t-il quelque propriété secrète ? A-t-il quelque usage ? Les pierres qu’on ne va pas chercher dans la mer, sont certes plus utiles. Du moins servent-elles à la construction de nos maisons, et celles-là, jamais ! Du moins ont-elles le mérite d’être plus solides. — Mais, dites-vous, les pierreries rehaussent la beauté. — Comment ? N’est-ce pas là pur et vain préjugé ? — Elles sont d’un blanc plus vif. — Non, car elles ne surpassent pas l’éclat, la pureté d’un marbre bien blanc, j’ose dire qu’elles n’en approchent même pas. — Sont-elles plus résistantes, au moins ? Pas davantage ; plus utiles, plus grosses ? Non et toujours non. D’où vient donc leur valeur ? Elle est toute de convention. Moins belles que d’autres, car nous en trouvons de plus diaphanes et d’un blanc plus brillant ; n’ayant d’ailleurs pas plus de solidité ni d’utilité, quelle raison les fait tant estimer ? La mode, rien que la mode. — Alors, pourquoi Dieu nous les a-t-il données ? Elles n’étaient pas un don, dans la pensée de Dieu ; c’est votre imagination qui leur prête une valeur ! — Mais pourquoi, direz-vous, l’Écriture même les a-t-elle célébrées ? C’est qu’elle a voulu parler d’après votre opinion même. Quand un maître s’adresse à un petit enfant, force lui est d’admirer ce qu’admire cet innocent, pour gagner son cœur et l’élever peu à peu. Pourquoi désirez-vous la magnificence des vêtements ? Donnez une robe à votre corps, et des chaussures à vos pieds ; et tenez-vous pour vêtu et paré suffisamment. — Mais, dites-vous, l’Écriture parlant des commandements de Dieu, dit qu’ils sont plus « estimables que l’or et les pierres précieuses ». (Psa. 8,11) Cela n’empêche pas que ces pierres précieuses ne soient des choses inutiles ; autrement, la sainte Écriture n’aurait pas commandé de les mépriser. Si parfois nos saints livres en parlent d’après notre estimation, n’y voyez qu’une condescendance de la divine bonté.

Vous me demandez pourquoi Dieu nous a donné la pourpre et d’autres ornements pareils ? Reconnaissez-y les œuvres de sa magnificence infinie ; d’autres ouvrages de sa main témoigneraient ainsi de son incomparable richesse. Quand la Providence travaillait pour vous, elle vous donnait le pur et simple froment ; c’est vous qui avez imaginé de le dénaturer, par mille préparations, en gâteaux, en friandises, en mets à l’infini qui flattent uniquement la sensualité. Le plaisir et la vanité ont fait ces inventions qui vous ont paru préférables à tout au monde. Mais vienne à passer un étranger ou un paysan ignorant de tous vos artifices ; et que vous voyant extasiés devant vos œuvres, il vous demande raison de votre admiration ridicule, dites, qu’aurez-vous à lui répondre ? Que ces mets sont bien beaux à voir ? Rien n’est plus faux.

Laissons donc, mes frères, de vains préjugés, et attachons-nous aux seuls biens véritables. Ceux de la terre ne méritent point ce nom ; ils passent, ainsi que coule l’eau d’un fleuve. Donc, je vous en prie, établissons-nous sur le roc afin de n’être point ballottés au caprice des vents, mais de gagner en outre les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ… Ainsi soit-il.