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Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/92

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ah ! je le veux ; le vin, je vous l’accorde, vous plaît et vous délecte ; et ainsi aujourd’hui, demain ; ainsi dix, vingt, trente, quarante, cinquante ans ; je vous accorde un siècle, par impossible ; mais vous le voulez, je vous l’accorde : quelle sera la fin ? qu’y gagnerez-vous ? Rien. Passer une telle vie, n’est-ce pas lamentable, déplorable ? Dieu nous a introduit dans le stade pour nous couronner, et nous nous en irons sans avoir fait un acte de courage ! Paul, lui, Paul gémit et pleure de ce qui est pour les autres occasion de rire et de s’amuser ; tant il ressent vivement le malheur du prochain ; tant il porte tous les hommes dans son cœur ! « Leur Dieu », ajoute-t-il, « c’est leur ventre ». Il n’est pas d’autre Dieu, en effet. C’est la mise en action de leur adage : « Mangeons et buvons ». Voyez-vous quel péché c’est qu’une vie de délices ? Pour les uns, c’est l’argent ; pour d’autres, c’est le ventre qui est Dieu. Ne sont-ils pas aussi des idolâtres, ces derniers, et pires et plus détestables encore ? « Leur gloire », dit saint Paul, « est dans leur confusion ». Quelques-uns entendent ces paroles de la circoncision. Je les interprète en ce sens, que telles gens devraient être couverts de honte et se voiler la face à raison de certains vices, et qu’au contraire il s’en font gloire. C’est, en d’autres termes, ce qu’il dit ailleurs : « Quel fruit avez-vous donc trouvé en ces jouissances qui maintenant vous font rougir ? » (Rom. 6,26) C’est un grand mal, en effet, que de commettre des choses honteuses ; mais si vous rougissez encore en le faisant, ce n’est que demi-mal ; si au contraire vous en tirez gloire, c’est le dernier degré de l’insensibilité.

Alors, dira-t-on, ces paroles ne s’appliquent qu’à ces endurcis effrontés ; et, dans cet auditoire, personne ne donne prise à semblable reproche ? Personne ne peut être accusé d’avoir son ventre pour Dieu, et de se faire gloire de sa honte même ? Ah ! je le souhaite, et je souhaite bien ardemment que ce portrait ne nous ressemble pas même de loin. Je voudrais ne connaître personne sur qui ce blâme doive tomber. Mais je crains qu’au contraire il ne nous convienne mieux qu’à eux-mêmes : En effet, s’il en est un ici qui passe sa vie dans les banquets et la boisson, trouvant bien sans doute quelques oboles pour les pauvres, mais prodiguant pour son ventre la plus grande partie de ses richesses, celui-là, en toute justice, ne devra-t-il pas prendre pour lui l’anathème apostolique ?

2. Au reste, pour réveiller la sainte honte, pour adjurer enfin le pécheur, rien de plus habile ni de plus fort que ce langage apostolique : « Leur Dieu, c’est leur ventre ; leur gloire est dans leur confusion même ». Mais qui sont ceux-là ? « Ce sont ceux qui n’ont de goût que pour la terre », ceux qui disent bâtissons des maisons ; où ? sur la terre ; achetons des champs, sur la terre encore ; acquérons l’empire, sur la terre aussi ; poursuivons la gloire, toujours sur la terre ; amassons des richesses, tout enfin sur la terre. Voilà encore des gens pour qui le ventre est un Dieu. Car, puisque leur âme ne s’occupe d’aucun objet spirituel, puisqu’ils ont tout ici-bas et n’ont pas d’autres soucis, vraiment dès lors leur ventre est leur Dieu, et ce sont eux qui disent : « Mangeons et buvons, car demain nous mourrons ». Oui, vous gémissez de ce que votre corps est pétri de limon, bien que cette chair même ne soit point un obstacle à la vertu ; et vous rabaissez votre âme par les délices, vous la traînez dans la boue, et vous le faites sans remords, vous riez même et vous livrez votre âme à la folie : quel pardon espérez-vous donc, après vous être condamnés à l’insensibilité ? Et cela, lorsque vous devriez spiritualiser votre corps lui-même ! Car vous le pouvez, il ne s’agit que de vouloir. Vous avez un ventre pour lui donner les aliments nécessaires, et non pour l’étendre et pour l’engraisser ; pour lui commander, et non pour qu’il vous commande ; non pour en être l’esclave, mais pour le faire servir à la nutrition des autres membres ; non pour dépasser enfin toute limite honnête. La mer cause moins de dégâts sur les rivages qu’elle envahit, que n’en cause le ventre à notre corps et à notre âme. L’une submerge la terre, l’autre dévaste le corps tout entier. Imposez-lui comme limite le strict nécessaire de la nature, comme Dieu pour la mer a placé le sable du rivage. S’il bouillonne, s’il se révolte, reprenez-le avec cette puissance intime qui est en vous. Voyez de quel honneur Dieu vous comble, puisqu’ici vous pouvez parler comme lui. Mais vous vous y refusez, et quand vous voyez ce tyran sortir de ses bornes, gâter, et dévorer votre nature, vous n’osez pas l’arrêter ni le modérer. « Leur Dieu, c’est leur ventre ».