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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/137

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autorité ? Cependant on charge du rôle d’accusateur un citoyen romain, créancier des habitants de Lampsaque, et qui était sûr d’avoir des licteurs pour se faire payer, s’il parlait au gré de Verrès. Eh bien ! malgré l’acharnement qu’on mettait à cette affaire ; malgré tous les moyens employés contre un infortuné que tant de gens accusaient et que personne ne défendait ; malgré les efforts de Dolabella et de son lieutenant, dans le conseil ; malgré Verrès, qui répétait qu’il y allait de sa fortune, qui déposait comme témoin, soutenait l’accusateur qu’il avait mis en avant, et délibérait comme juge ; malgré tant de manœuvres et la certitude d’un meurtre commis, la violence et la perversité de Verrès parurent si monstrueuses qu’on ordonna une nouvelle information.

XXX. Rappellerai-je maintenant l’ardeur de Cn. Dolabella dans la seconde action, et les larmes, les supplications de Philodamus ? l’embarras de C. Néron, le meilleur et le plus doux des hommes, mais quelquefois trop timide et trop facile ? Il n’avait guère d’autre parti à prendre que de conduire l’affaire sans l’intervention de Verrès et de Dolabella, comme on le désirait généralement ; toute décision rendue sans leur concours eût été approuvée, tandis qu’on regarda la sentence plutôt comme ayant été arrachée par Dolabella, que prononcée par Néron. En effet, Dolabella était présent, lorsque Philodamus et son fils furent condamnés, à une très faible majorité. Il s’agitait, il pressait, pour qu’ils fussent frappés de la hache avant qu’un trop grand nombre de témoins pût apprendre de la bouche des victimes le forfait de Verrès. On vit alors, sur la place publique de Laodicée, le spectacle le plus cruel, le plus déplorable, le plus propre à effrayer toute la province de l’Asie, un père, respectable par son âge, et son fils conduits au supplice, pour avoir défendu, l’un la pudeur de ses enfants, l’autre la vie de son père et l’honneur de sa sœur. Ils pleuraient tous deux, non pas sur leur propre supplice, mais le père sur la mort de son fils, le fils sur la mort de son père. Que de larmes versa Néron lui même ! quelle désolation dans toute l’Asie ! quel deuils quels gémissements à Lampsaque ! La hache avait donc frappé deux hommes innocents, de condition noble, alliés et amis du peuple romain, sacrifiés à l’étrange perversité, à la brutale passion du plus infâme des hommes. Non, Dolabella, non ; désormais on ne peut plus avoir de compassion ni pour vous ni pour vos enfants, que vous avez laissés dans l’infortune, la misère et l’abandon ! Mais ce Verrès, qu’était-il donc à vos yeux, pour avoir voulu laver sa honte dans le sang innocent ? Pour que vous ayez quitté votre armée, oublié l’ennemi, afin d’enlever au péril, à force d’injustice et de cruauté, le plus méchant de tous les hommes ? Parce que vous vous l’étiez donné pour questeur, avez-vous pensé qu’il serait à jamais votre ami ? Ne saviez-vous pas que le consul Cn. Carbon, dont il était le véritable questeur, avait été abandonné par lui, dépouillé de secours, d’argent, attaqué et trahi avec indignité ? Aussi avez-vous éprouvé vous-même la perfidie de ce misérable, lorsqu’il est passé du côté de vos ennemis, qu’il a porté contre vous