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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/171

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Héraclius de son patrimoine ? Avec quelle impudence, quelle publicité, quelle cruauté, ô dieux immortels ! ne pilla-t-on pas ses biens dès qu’il eut pris la fuite ? Quel désastre pour lui ! quel gain pour Verrès ! quelle honte pour les Syracusains ! quel malheur pour toute la Sicile ! On a soin de faire porter aussitôt chez Verrès tout ce qu’il y avait dans la succession de vases d’argent ciselé ; nul ne doutait qu’il ne fallût aussi lui abandonner tout ce qu’il y avait de vases de Corinthe et de tapis magnifiques, non seulement dans la maison d’Héraclius, cette maison emportée d’assaut, mais dans toute la province. Quant aux esclaves, il emmène ceux qui lui plaisent, et distribue les autres. On fit une vente ; la cohorte du préteur, cette troupe invincible, y eut toujours la victoire. Mais voici le plus admirable : les Syracusains, chargés en apparence de recueillir la succession, mais en effet de la distribuer, rendaient compte de cette opération dans leur sénat : ils lui apprenaient combien de coupes, d’aiguières d’argent, de tapis précieux, d’esclaves de prix avaient été donnés à Verrès ; combien d’argent on avait compté à chacun par son ordre. Les sénateurs gémissaient, et toutefois ils le souffraient. On lit tout à coup pour un seul article, une somme de deux cent cinquante mille sesterces donnée par ordre du préteur. Un cri s’élève de toutes parts : non seulement les plus vertueux, ceux qui avaient toujours regardé comme une chose infâme qu’on dépouillât un particulier au nom du peuple ; mais les auteurs même de cette infamie qui en partageaient le fruit, se mirent à crier qu’il gardât pour lui la succession : il se fit un si grand tumulte dans le sénat, que le peuple accourut.

XX. Le bruit du scandale, répandu au dehors, parvint bientôt jusqu’au palais du préteur. Irrité à la fois et contre ceux qui avaient fait cette lecture, et contre ceux qui s’étaient récriés, il s’abandonne à sa colère. Toutefois, son caractère se démentit ; et malgré son impudence, malgré l’audace que vous lui connaissez, les clameurs du peuple, et l’évidence d’un vol si considérable, le troublèrent. Dès qu’il se fut remis, il fit venir devant lui les Syracusains qui avaient fait le rapport au sénat : et, ne pouvant nier qu’il en eût reçu de l’argent, il ne chercha pas bien loin, car il n’aurait pu se faire croire ; il prit un de ses proches, l’homme qu’il devait regarder comme un autre fils ; et l’accusant d’avoir pris cet argent, il déclara qu’il le forcerait de le rendre. Se voyant accusé, le gendre de Verrès n’oublia pas ce qu’il devait à sa jeunesse, à son rang, à sa naissance. Il se défendit devant le sénat, et montra qu’il n’avait eu aucune part dans cette affaire. Quant à la conduite de Verrès, il s’en expliqua sans aucun détour, disant ce que tout le monde savait. Aussi, par la suite, les Syracusains lui érigèrent-ils une statue ;  : et lui-même, dès qu’il le put, il quitta la province et abandonna le préteur. On dit cependant que Verrès se plaint d’être accusé non pour ses fautes, mais pour les fautes des siens. Vous avez administré la province pendant trois ans, Verrès ; le jeune homme que vous aviez choisi pour gendre n’a été qu’un an avec vous ; ceux de vos amis et de vos lieutenants qui avaient de la droiture se sont aussi séparés de vous dès la première année ; P. Tadius, le seul qui fût demeuré, n’est pas resté longtemps : s’il eût tou-