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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/23

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grave encore à celui avec lequel votre propre volonté ou la fortune vous avait étroitement lié. — Il n’a pas comparu.— Qui ? celui qui fut toujours à vos ordres. Il fallait donc, parce qu’une fois il ne s’y est pas rendu, lancer contre lui tous les traits dont on s’arme contre un adversaire consomme dans la ruse et la mauvaise foi ? Je vous le demande, S. Névius, s’il s’était agi de votre salaire de crieur public ou de quelque mince intérêt, et que vous eussiez craint une surprise, n’auriez-vous pas couru chez C. Aquillius ou chez quelqu’un de nos jurisconsultes ? Et lorsqu’il s’agissait des égards dus à un associé, à un ami, à un parent, lorsqu’il fallait donner quelque chose aux procédés et à l’opinion, loin de consulter Aquillius, ou Lucullus, vous ne vous êtes pas consulté vous-même, vous ne vous êtes pas dit : Voilà la deuxième heure écoulée, et Publius n’a point encore paru ; que dois-je faire ? Oui, si vous vous étiez seulement dit ces deux mots : Que dois-je faire ? la cupidité, la soif de l’or se seraient calmées pour un instant. La raison, la réflexion auraient pu vous ouvrir les yeux ; vous seriez rentré en vous-même et vous ne seriez pas réduit à faire devant de tels hommes le honteux aveu, qu’à l’heure précise où un proche parent a manqué de comparaître, vous avez sur-le-champ pris la résolution de le dépouiller sans pitié.

XVII. Eh bien ! moi, je demande pour vous après coup, et dans une affaire qui n’est pas la mienne, ce conseil que vous avez oublié de demander, en temps opportun et dans votre propre affaire : Répondez-moi, je vous prie, C. Aquillius, et vous Lucullus, Quintius, Marcellus : un homme qui avait pris avec moi l’engagement de comparaître, y a manqué ; c’est un associé, un parent, avec lequel j’ai depuis longtemps des liaisons d’amitié, et depuis peu une discussion d’intérêt : dois-je requérir du préteur la saisie de ses biens ? ou, comme il a dans Rome sa maison, sa femme, ses enfants, ne dois-je pas plutôt lui signifier chez lui mes justes prétentions ? Quel pourrait être votre avis sur une pareille consultation ? Assurément, si je connais bien votre bonté, votre prudence, je ne me trompe guère sur ce que vous pourriez répondre. « Il faut attendre, diriez-vous d’abord ; ensuite, si la personne assignée paraît se cacher pour éluder les poursuites, il faut aller trouver ses amis ; leur demander quel est son fondé de pouvoirs, lui faire une signification à son domicile. » On compterait à peine toutes les démarches que vous conseilleriez de faire, avant d’en venir à un acte qui n’est jamais nécessaire qu’à la dernière extrémité. Que répond à cela Névius ? Il rit sans doute de la folie que nous avons de chercher en lui la délicatesse et la morale des gens de bien, « Qu’ai-je de commun, dit-il, avec ces scrupules et cette rigueur de principes ? Tous ces procédés sont bons pour les honnêtes gens ; mais quand il est question de moi, il ne faut pas faire attention à ma fortune, mais à la manière dont je l’ai acquise. Je me souviens de ma naissance et de mon éducation. Un vieux proverbe dit, que d’un bouffon il est plus aisé de faire un riche, qu’un homme comme il faut. » Voilà sa pensée, et si sa bouche n’ose l’exprimer, ses actions la proclament hautement. Aussi-bien, s’il voulait vivre en honnête homme, il lui faudrait faire deux choses également difficiles à son âge : beaucoup apprendre et beaucoup oublier.