Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/232

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mes sont affermées trente-cinq mille médimnes ; c’était près de la moitié plus que l’année précédente. Les agriculteurs se voyaient entièrement ruinés, d’autant plus que les années précédentes avaient épuisé leurs dernières ressources. Verrès ayant remarqué que les dîmes avaient été portées trop haut pour qu’on pût rien tirer de plus des Herbitains, retranche de l’impôt public trois mille six cents médimnes, et, au lieu de trente-cinq mille, fait porter sur les registres trente et un mille quatre cents.

XXXIV. Docimus avait pris à ferme les dîmes de l’orge du même territoire. C’est ce Docimus qui lui avait amené Tertia, fille du comédien Isidore, enlevée par lui de force à un musicien de Rhodes. Cette Tertia avait plus d’empire sur l’esprit de Verrès que Pippa et les autres ; je dirai presque qu’elle était aussi puissante dans la préture de Sicile, que l’avait été Chélidon dans celle, de Rome. Les deux rivaux du préteur, qui ne songeaient pas à l’inquiéter, se rendent à Herbite : ces agents criminels de femmes perdues demandent, exigent, menacent. Ils ne pouvaient toutefois, malgré leur désir, imiter Apronius. Les Siciliens ne redoutaient pas autant leurs compatriotes. Les nouveaux décimateurs ne leur en faisaient pas moins des difficultés de toutes sortes ; les Herbitains s’engagent à plaider contre eux à Syracuse. Quand ils furent venus, on les oblige de donner à Eschrion, c’est-à-dire, à Pippa, ce qu’on avait retranché de l’impôt public, trois mille six cents médimnes. Verrès ne voulut pas donner sur les dîmes, à l’épouse prostituée du décimateur, un trop fort bénéfice ; car elle aurait pu renoncer à son trafic nocturne pour prendre à ferme nos impôts. Les Herbitains croyaient tout fini, lorsque Verrès prenant la parole : Et l’orge, dit-il, et Docimus, mon tendre ami, qu’en pensez-vous ? Et cette affaire, Verrès la traitait dans sa chambre, et de son lit. Nous n’avons reçu aucun ordre, disent les députés d’Herbite. Je n’entends pas, dit-il : comptez quinze mille sesterces. Que pouvaient faire ces malheureux ? pouvaient-ils refuser, surtout lorsqu’ils voyaient pour ainsi dire sortir du lit de Verrès une femme en possession de la ferme publique, et dont l’amour devait l’exciter à ne faire aucune remise ? Ainsi, sous la préture de Verrès, toute une ville de nos alliés et de nos amis s’est vue tributaire de deux infâmes courtisanes. Je vais plus loin : je dis que, malgré tout ce qu’on fournissait de blé, tout ce qu’on demandait d’argent aux décimateurs, la ville d’Herbite n’a pu encore racheter ses citoyens de leurs vexations. Après avoir enlevé et pillé les biens des cultivateurs, on les obligeait de donner aux décimateurs les additions de marché qui les ont réduits enfin à déserter les villes et les campagnes. Aussi, lorsque Philinus d’Herbite, homme plein de lumières et de savoir, et de noble extraction, parlait, au nom de toute sa ville, de l’infortune des cultivateurs, de leur fuite, du petit nombre de ceux qui restaient, on a vu éclater les gémissements du peuple romain, qui s’est toujours trouvé en foule à cette cause. Mais je dirai plus tard combien est réduit le nombre des laboureurs.

XXXV. Ici, et j’allais oublier cette réflexion, que je ne crois pas devoir omettre, je vous le demande, Romains, au nom des dieux immortels, pouvez-vous souffrir, ou même entendre dire avec