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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/248

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ce fléau des campagnes, qu’il leur revenait fort peu de chose de ces gains immenses, que le prêteur était leur associé. Quoi ! les décimateurs tenaient publiquement ce langage dans toute la province ; ils s’appuyaient de votre nom dans des vexations aussi odieuses, aussi infâmes, et vous n’avez point songé à votre réputation ? Lorsque la terreur de votre nom glaçait l’âme des laboureurs ; lorsque, pour conclure les marchés, les fermiers des dîmes opposaient aux cultivateurs des champs, non leur puissance, mais votre tyrannie et votre nom, pensiez-vous qu’il y aurait à Rome des juges assez faibles, assez pervers, assez disposés à se laisser corrompre, pour que la déesse Salus elle-même pût vous sauver de leurs mains ? Pourriez-vous l’espérer, quand il devait être prouvé que les dîmes avaient été affermées contre les règlements, contre les lois, contre l’usage de vos prédécesseurs, et que les décimateurs avaient dit partout que la chose vous regardait, que c’était votre affaire, que le butin était pour vous ; quand il devait être prouvé que vous aviez gardé le silence, et que, ne pouvant dissimuler la vérité de leurs discours, vous aviez pu les supporter et les souffrir : tant la grandeur du gain vous cachait la grandeur du péril ! tant l’amour de l’argent pouvait plus sur vous que la crainte d’un jugement ! Non, sans doute, vous ne pouvez nier le reste ; mais ne vous êtes-vous pas même réservé de pouvoir dire que vous n’avez rien entendu de ces discours, que le bruit de votre infamie n’est point arrivé jusqu’à vous ? Les cultivateurs se plaignaient, ils pleuraient, ils gémissaient ; et vous n’en saviez rien ! Toute la province murmurait ; et personne ne vous en avait instruit ! On tenait à Rome des assemblées où l’on portait des plaintes contre vous, et vous l’ignoriez ! vous ignoriez tout cela ! Mais lorsque publiquement, à Syracuse, vous présent, dans un grand concours de peuple, P. Rubrius, portant à Q. Apronius un défi judiciaire, offrait de prouver Qu’IL DISAIT PARTOUT QUE VOUS ÉTIEZ SON ASSOCIÉ DANS LES DÎMES, ces paroles ne vous ont pas frappé, ne vous ont pas troublé, ne vous ont pas fait songer à sauver votre honneur et votre personne ? Vous avez gardé le silence, vous avez même apaisé les deux parties, vous avez fait en sorte que le débat n’eût pas lieu.

LVIII. Dieux immortels ! un homme innocent eût-il pu souffrir un tel affront ? et un coupable même, s’il eût seulement pensé qu’il y avait des tribunaux à Rome, n’aurait-il pas du moins affecté de paraître sensible à la perte de l’estime publique ? Comment ! on veut intenter un procès où vos intérêts les plus chers sont compromis ; et vous restez tranquille sur votre siège ! et vous ne donnez aucune suite à cette dénonciation ! et vous n’insistez pas ! et vous ne cherchez pas à savoir à qui Apronius a tenu le propos, qui l’a entendu de sa bouche, qui l’a rapporté, comment il s’est répandu ! Si quelqu’un vous eût dit à l’oreille qu’Apronius se disait partout votre associé, n’auriez-vous point dû vous indigner, mander Apronius, et ne pas accepter sa satisfaction avant que d’avoir vous-même satisfait à l’opinion ? Mais lorsque, dans une place publique, devant tout le peuple assemblé, on semblait diriger contre Apronius une accusation qui réellement tombait sur vous, auriez-vous jamais pu endurer en silence un tel outrage, si vous n’aviez été persuadé que, dans un fait aussi notoire, tout ce que vous auriez dit n’aurait pu que vous nuire ? Souvent des gouverneurs ont renvoyé leurs questeurs, leurs lieutenants, leurs préfets, leurs tri-