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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/267

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vous ouvre ; quel moyen je vous fournis ; combien ce moyen est injuste pour les alliés, contraire aux intérêts de la république, peu conforme au vœu et à l’esprit de la loi. Je suis prêt à vous fournir mon blé dans mes campagnes, dans ma ville, enfin dans les lieux où vous êtes, où vous séjournez, où vous administrez les affaires, où vous gouvernez votre province ; et vous me désignez un coin de la province caché et abandonné ! vous m’ordonnerez de mesurer le blé que je vous dois dans un lieu où il ne m’est pas commode d’en porter, où je ne puis en acheter ! Ce serait là une odieuse et intolérable manœuvre, une conduite que n’autorisa jamais la loi, mais dont jusqu’à ce jour peut-être on n’a puni personne : toutefois, ce que je dis n’être pas tolérable, je l’accorde, je le passe à Verrès. Oui, si, dans quelque endroit de sa province, le blé s’est vendu aussi cher qu’il l’a estimé, je ne crois pas qu’on doive en faire un crime à un accusé tel que lui. Mais lorsque, sur tous les points de votre province, le blé se vendait deux ou trois sesterces, vous en avez exigé douze. Or, s’il ne peut y avoir de contestation entre vous et moi, ni pour le prix du blé ni pour votre estimation, pourquoi rester assis ? qu’attendez-vous ? par où peut-on vous défendre ! Vous paraît-il que vous ayez exigé de l’argent contre les lois, contre la république, au grand préjudice des alliés ? ou bien soutiendra-t-on que vous avez agi suivant la règle, sans violer la loi, sans léser la république, sans faire tort à personne ? Le sénat ayant tiré de l’argent du trésor, et vous ayant compté quatre sesterces pour les donner aux agriculteurs par chaque boisseau, que deviez-vous faire ? Suivre l’exemple de L. Pison, ce magistrat intègre, et le premier auteur d’une loi contre la concussion, et, après avoir acheté le blé ce qu’il valait, rapporter au trésor ce qui serait resté d’argent ; ou chercher, comme quelques-uns, à gagner les bonnes grâces des alliés, à leur faire du bien, et les payer d’après l’estimation du sénat, qui était au-dessus du prix courant, et non d’après la valeur du blé ; ou faire enfin, ce qu’ont fait la plupart, et ce qui n’était pas même sans quelque profit honnête et légitime, ne pas acheter de blé, puisqu’il était à bas prix, et garder l’argent que vous avait remis le sénat pour les provisions de votre maison.

LXXXV. Mais vous, qu’avez-vous fait ? comment expliquer votre conduite, je ne dis pas d’après les règles de la justice, mais d’après les principes ordinaires d’une impudente perversité ? Quelques excès que commette ouvertement un mauvais magistrat, il a toujours soin de se ménager, à défaut d’excuse, au moins une réponse quelconque. Ici, comment le préteur procède-t-il avec le cultivateur ? Il va le trouver : il faut, dit-il, que je vous achète du blé. — Fort bien. — J’ai quatre sesterces par boisseau. — Vous me traitez avec bonté et générosité, car je ne puis le vendre trois sesterces. — Je n’ai pas besoin de blé, je veux de l’argent. — Je m’attendais, en effet, qu’il faudrait payer en argent ; mais, puisqu’il le faut, considérez quel est le prix du blé. — Oui, je sais qu’il se vend deux sesterces. — Que puis-je donc vous donner d’argent, lorsque le sénat vous en a remis quatre ? Écoutez, Romains, ce que Verrès demande ; et en même temps remarquez, je vous prie, l’équité du préteur. Je garderai les quatre sesterces que le sénat m’a fait donner sur le trésor, et je les transporterai de la caisse dans mon coffre. — Et après cela ? — Après cela ? Donnez--