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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/324

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je me prêterai à vos désirs, et je chercherai quels sont donc ces éminents services que vous avez rendus dans la guerre. Direz-vous que, par votre valeur, la Sicile a été délivrée de la guerre des esclaves ? Rien de plus glorieux sans doute, rien de plus honorable. Cependant de quelle guerre parlez-vous ? car nous savons que, depuis la victoire d’Aquillius, il n’a existé aucune guerre d’esclaves en Sicile. Mais il y en avait une en Italie ; cela est vrai, et même une très vive et très sanglante. Prétendez-vous en tirer quelque honneur, et vous associer à la gloire de Crassus et de Pompée ? Une telle impudence de votre part ne m’étonnerait pas. Peut-être avez-vous empêché les révoltés de passer d’Italie en Sicile ? En quel lieu ? dans quel temps, de quel côté ? Lorsqu’ils se disposaient à le faire sur des vaisseaux ou sur des radeaux ? Car rien de tout cela n’est parvenu jusqu’à nous : ce qu’on nous a dit, c’est que la prudence et l’activité de Crassus les empêchèrent de passer à Messine sur les radeaux qu’ils avaient rassemblés. Cette tentative n’eût pas donné autant d’inquiétude, si l’on eût pensé qu’il y avait alors en Sicile des forces suffisantes pour s’opposer à la descente des rebelles.

III. Mais, dites-vous, on faisait la guerre en Italie, et la Sicile, qui en est si voisine, a toujours été en paix. Qu’y a-t-il d’étonnant ? On a fait aussi la guerre en Sicile, sans que la paix ait été troublée en Italie : la distance est pourtant la même. Dans quelle intention alléguez-vous la proximité ? prétendez-vous que l’accès était facile, ou que la contagion de l’exemple était à craindre ? D’abord les révoltés n’avaient point de vaisseaux : ainsi, non seulement ils étaient séparés de la Sicile, mais le passage même leur était absolument fermé ; en sorte que, malgré cette proximité dont vous parlez, il aurait été plus facile pour eux d’arriver par terre aux rivages de l’Océan, que d’aborder à Pélore. Quant à la contagion de l’exemple, pourquoi vous prévaloir de cette raison plutôt que tous ceux qui gouvernaient les autres provinces ? Serait-ce parce que les esclaves avaient déjà fait la guerre en Sicile ? Mais la Sicile, par cette raison même, était, comme elle l’est encore, à l’abri de tout danger ; car depuis que M. Aquillius en est sorti, tous les édits, toutes les ordonnances des prêteurs ont constamment défendu aux esclaves de porter des armes. Je vais citer un fait assez ancien, et qui, vu la sévérité de cet exemple, n’est peut-être ignoré d’aucun de vous. On avait apporté un sanglier énorme à L. Domitius, préteur en Sicile. Surpris de la grosseur de cet animal, il demanda qui l’avait tué. On lui nomma le berger d’un Sicilien. Il ordonna qu’on le fît venir. Le berger accourt, s’attendant à des éloges et à des récompenses. Domitius lui demande comment il a tué cette bête formidable. Avec un épieu, répond-il. À l’instant le préteur le fit mettre en croix. Peut-être cet ordre vous semblera plus que sévère. Je ne prétends ni le blâmer ni le justifier ; tout ce que je veux y voir, c’est que Domitius aima mieux paraître cruel en punissant, que trop relâché en pardonnant cette infraction de la loi.