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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/348

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les uns les autres; ils s'arment et remplissent le forum et l'île qui forme la plus grande partie de la ville. Les pirates, sans s'arrêter plus d'une nuit à Elore, laissent les débris de la flotte encore fumants, et s'approchent de Syracuse. Sans doute ils avaient ouï dire que rien n'égale la beauté de ses murs et de son port, et ils sentaient bien qu'ils ne les verraient jamais, s'ils ne les voyaient pas sous la préture de Verrès.

XXXVII. Et d'abord ils s'approchent du rivage, où, ces jours mêmes, le préteur avait dressé ses tentes et fixé son camp de plaisance: ils trouvent le poste évacué; le préteur avait disparu; nul obstacle, nulle résistance. Ils entrent hardiment dans le port. Quand je dis dans le port, je parle ainsi pour ceux qui ne connaissent pas les lieux ; je veux dire que les pirates entrèrent dans la ville, dans l'intérieur même de la ville. Remarquez, en effet, que Syracuse n'est pas fermée par le port; c'est le port lui-même qui est renfermé dans la cité, et la mer, au lieu de baigner les dehors et l'extrémité des murs, s'enfonce jusque dans le centre de la place.

C'est là que, sous votre préture, Héracléon, un chef des pirates, avec quatre brigantins, a navigué sans obstacle. Dieux immortels! l'autorité, le nom, les faisceaux du peuple romain sont au milieu de Syracuse! un pirate s'avance jusqu'au forum, et se promène devant tous les quais de Syracuse. Et les flottes triomphantes de Carthage, lorsque Carthage régnait sur les mers, firent toujours d'inutiles efforts pour y pénétrer; et nos forces navales, invincibles avant votre préture, ne purent jamais, pendant tant de guerres contre les Carthaginois et les Siciliens, briser cette barrière insurmontable. Telle est sa force, que les Syracusains verraient l'ennemi vainqueur dans leurs murs, dans leur ville, au milieu de leur forum, avant que de voir un seul de ses vaisseaux dans leur port. Sous votre préture, des barques de pirates se sont promenées avec sécurité dans ce lieu où périrent autrefois trois cents vaisseaux d'Athènes, seule flotte qui, dans toute la durée des siècles, en ait pu forcer l'entrée; et dans ce port même, la nature et la situation des lieux triomphèrent de cette flotte formidable. Oui, le port de Syracuse fut le premier écueil de la grandeur d'Athènes; le sceptre de sa gloire y fut brisé, et le naufrage de ses vaisseaux fut en même temps le naufrage de sa puissance.

XXXVIII. Un pirate a donc pénétré dans un lieu où il ne pouvait arriver sans laisser à côté de lui et derrière lui la plus grande partie de la ville! Il a fait le tour de l'île qui forme en quelque sorte une cité séparée dans l'enceinte même de Syracuse, de l'île où nos ancêtres ont défendu qu'aucun Syracusain établît sa demeure, parce qu'ils savaient que quiconque occuperait cette partie de la ville serait aussi le maître du port. Mais jusqu'où les pirates ont-ils porté le mépris et la dérision! Ils jetaient sur le rivage les racines de palmiers sauvages qu'ils avaient trouvées dans nos vaisseaux, afin que tous connussent et la perversité du préteur et les calamités de la Sicile. Des soldats siciliens, des fils de laboureurs, des jeunes gens dont les pères tiraient, de la terre fécondée par leurs sueurs, assez de blé pour nourrir le peuple romain et l'Italie entière; des