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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/392

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arrêt favorable, autant il craint de paraître avoir usé des voies de rigueur contre son adversaire.

M. Fulcinius, un des citoyens les plus distingués de la ville municipale de Tarquinies, faisait à Rome le commerce de la banque avec honneur. Il avait épousé Césennia, née d’une famille illustre de la même ville, d’une conduite digne des plus grands éloges, comme il l’a prouvé lui-même pendant sa vie en bien des manières, et déclaré à sa mort par son testament. Les malheurs de la république venant à troubler le commerce, il vendit à Césennia un fonds situé sur le territoire de Tarquinies ; et comme il employait à sa banque la dot de son épouse, qu’il avait reçue comptant, pour plus grande sûreté, il fit assigner sa dot sur ce fonds. Quelque temps après, il renonce au commerce de la banque, et achète quelques terres contiguës à celle de son épouse. Je tranche sur bien des faits étrangers à la cause : Fulcinius meurt ; il établit héritier par son testament le fils qu’il avait eu de Césennia, et lègue à Césennia l’usufruit de tous ses biens, pour en jouir conjointement avec son fils. C’était, de la part d’un époux, une grande marque de considération, bien flatteuse pour la veuve si elle eût été plus durable. Elle aurait joui des biens de son époux avec celui qu’elle voulait faire héritier des siens, et dont la tendresse était si chère à son cœur. Mais la fortune ennemie la priva bientôt de cette joie. Le jeune Fulcinius mourut peu de temps après. Il institua P. Césennius son héritier. Il légua à son épouse une somme considérable, et à sa mère la plus grande partie de ses biens. Les femmes furent donc appelées au partage de la succession.

V. La vente était décidée et réglée. Ébutius, depuis longtemps subsistait des bienfaits et profitait de l’état de veuvage et d’abandon où se trouvait Césennia. Il s’était insinué dans son amitié, en se chargeant, non sans en tirer parti pour lui-même, des affaires et des procès qui pouvaient survenir à cette dame ; alors on le trouvait aussi dans tous ces détails de vente et de partage ; on le voyait s’offrir et s’ingérer partout avec empressement : tel était enfin l’ascendant qu’il avait pris sur Césennia, que, suivant cette femme peu instruite, rien ne pouvait se faire de bien si Ébutius ne s’en mêlait. Juges, vous connaissez un de ces personnages si communs dans le monde, complaisant des femmes, solliciteur des veuves, chicaneur de profession, amoureux de querelles et de procès, ignorant et sot parmi les hommes, habile et entendu avec les femmes : voilà Ébutius ; tel fut Ébutius à l’égard de Césennia. Ne demandez pas s’il était son parent : personne ne lui fut plus étranger ; si c’était un ami que lui eût laissé son père ou son époux : rien moins que cela. Qu’était-il donc ? Un de ces hommes que je viens de dépeindre ; un ami d’intérêt, tenant à Césennia, non par quelque lien de parenté, mais par un faux zèle pour sa personne, par un empressement hypocrite, par des services quelquefois utiles, rarement fidèles. La vente était décidée, comme j’avais commencé de le dire ; il était réglé qu’on la ferait à Rome : les amis et les parents de Césennia lui donnaient une idée qu’elle avait eue d’elle-même. Elle pouvait acheter, disaient-ils, la terre qu’avait acquise Fulcinius, et qui tenait à celle qu’il lui avait vendue. Il n’y aurait pas de raison de laisser échapper une telle occasion, surtout puisqu’il devait lui revenir de