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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/464

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de legs à une mère si dénaturée, ni se décider à omettre tout à fait le nom d’une mère dans l’acte qui disposerait de sa fortune. Instruit de ce fait, qui d’ailleurs n’était pas un mystère, Oppianicus sentait qu’une fois Cluentius mort, tous ses biens reviendraient à Sassia, dont il pourrait ensuite se débarrasser aussi, avec bien plus d’avantage, parce qu’elle serait plus riche, et bien moins de danger, parce qu’elle n’aurait plus de fils. Animé de cet espoir, apprenez, juges, à quel moyen il eut recours pour empoisonner Cluentius.

XVI. Dans la ville municipale d’Alétrium vécurent deux frères jumeaux, C. et L. Fabricius, aussi semblables entre eux par les mœurs et les traits du visage, que différents de leurs compatriotes, qui, presque tous, comme personne de vous ne l’ignore sans doute, se distinguent par un caractère sage et une conduite irréprochable. Ces Fabricius furent de tout temps les plus intimes amis d’Oppianicus. Vous savez tous combien est puissante, pour rapprocher les hommes, la conformité des goûts et des sentiments. Comme la maxime constante des deux frères était de trouver bon et honnête tout moyen de s’enrichir, comme il n’y avait pas de fraude, de perfidie, de pièges tendus à la jeunesse qui ne fussent leur ouvrage, comme leurs vices et leur perversité les avaient fait connaître de tout le monde, Oppianicus, je le répète, s’était empressé depuis bien des années de former avec eux une étroite liaison. C’est donc sur C. Fabricius, car Lucius était mort, qu’il jeta les yeux pour attenter aux jours de Cluentius. Celui-ci, malade alors, recevait les soins d’un médecin peu célèbre, mais d’une vertu éprouvée, nommé Cléophante, dont Fabricius essaya de gagner à prix d’argent l’esclave Diogène, afin qu’il empoisonnât Cluentius. L’esclave, homme adroit, mais honnête et fidèle, comme l’événement l’a prouvé, écouta, sans la rejeter, la proposition de Fabricius, et en fit part à son maître, qui, lui-même en instruisit Cluentius. Celui-ci en conféra sur-le-champ avec le sénateur M. Bébrius, son ami, dont vous n’avez pas oublié, je pense, la probité, la prudence et le noble caractère. Bébrius fut d’avis que Cluentius achetât de Cléophante l’esclave Diogène, afin qu’à l’aide de ses révélations on acquît plus facilement la preuve du crime, ou qu’on reconnût la fausseté de l’avis. Que dirai-je de plus ? on achète l’esclave, et peu de jours après, en présence de plusieurs témoins dignes de foi, qui se tenaient cachés et qui se montrèrent à propos, on surprend dans les mains de Scamander, affranchi des Fabricius, le poison, et l’argent qui devait servir de salaire à l’empoisonneur.

XVII. Dieux immortels ! après de pareils faits on dira qu’Oppianicus a été victime de l’intrigue ! Jamais un homme plus audacieux, plus coupable, plus manifestement convaincu, fut-il traduit en justice ? Tout le génie de l’éloquence, tout l’art du plus habile défenseur, auraient-ils pu détruire ce seul chef d’accusation ? et en même temps n’est-il pas évident qu’après la découverte d’un complot si bien avéré, Cluentius n’avait d’autre d’alternative que de recevoir la mort, ou d’accuser l’assassin ?

Je crois, juges, avoir assez démontré que les crimes d’Oppianicus ne laissaient aucun moyen