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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/522

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populaires le bouleversement de la législature, l’inexécution des jugements, la restitution des biens des condamnés ; mesures désastreuses, et qui servent ordinairement à accélérer la ruine des États déjà sur leur déclin. Et s’il est des hommes qui promettent des terres au peuple romain, qui ourdissent dans l’ombre des projets funestes, tandis qu’ils vous bercent d’ailleurs d’espérances perfides, les regarderez-vous aussi comme des hommes populaires ?

V. Je le dis avec franchise, Romains, je ne blâme pas tout entier le mode de la loi agraire en lui-même ; j’aime à me rappeler que deux de nos plus illustres citoyens, de nos plus brillants génies, Tibérius et Caïus Gracchus, si dévoués au peuple de Rome, ont établi ce peuple sur des terres de la république, dont quelques particuliers se trouvaient possesseurs. Non je ne suis pas un consul de la façon de certains autres qui regardent comme un crime de louer les Gracques, ces magistrats austères, dont les conseils, la sagesse et les lois ont apporté une réforme salutaire dans plusieurs branches de l’administration. Aussi, dès que je fus désigné consul, informé que les tribuns désignés annonçaient la publication d’une loi agraire, je désirai connaître leur plan. Je croyais, puisque nous allions être magistrats dans la même année, qu’il fallait en quelque sorte unir nos efforts pour bien gérer les affaires. Tandis que je participais et me mêlais familièrement à leurs conférences, on se cachait de moi, on m’éconduisait : et lorsque je déclarais vouloir présenter moi-même et appuyer la loi, si elle me paraissait utile au peuple romain, on dédaignait ces offres obligeantes, on me niait la faculté de faire approuver aucune espèce de largesse. Je cessai donc de m’offrir, de peur que mon assiduité ne semblât insidieuse ou peu digne de mon caractère. Cependant ils continuaient de s’assembler en secret, d’admettre à leurs conciliabules quelques particuliers, d’envelopper leur secret des mystères de la nuit et de la solitude. Vous pouvez juger, par l’inquiétude où vous étiez alors, des terreurs dont nous étions agités nous-même. Enfin, les tribuns du peuple entrent en exercice. On attendait le discours de Rullus, qui était l’instigateur de la loi agraire, et qui affectait beaucoup plus de roideur que tous ses collègues. À peine est-il désigné, qu’il s’étudie à prendre un autre visage, un autre son de voix, une autre démarche ; son costume est plus à l’antique ; son extérieur, plus négligé et plus inculte ; ses cheveux, plus en désordre ; sa barbe, plus longue : sa figure, ses yeux semblent présager toutes les violences tribunitiennes, et porter un défi à la république. J’attendais, comme les autres, l’homme et sa harangue. Sa loi, il ne la propose pas d’abord ; il convoque une assemblée du peuple ; on y court avec impatience. Il déroule sa harangue, sans doute très longue, mais en fort bons termes. Un seul défaut m’y frappa, c’est que, dans cette foule d’auditeurs, il ne s’en trouva pas un seul en état de la comprendre. Voulait-il cacher sa pensée, ou se complaisait-il dans ce genre d’éloquence ? je l’ignore. Cependant, s’il en fut de plus sagaces qui tinrent ferme dans l’assemblée, ils le soupçonnèrent d’avoir voulu parler de je ne sais quoi, qui était une loi agraire. Enfin, je n’étais encore que désigné ; la loi est proposée au peuple. En même temps, par mon ordre,