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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/566

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PREMIER DISCOURS
CONTRE L. CATILINA,
PRONONCÉ DANS LE SÉNAT.

DISCOURS DIX-NEUVIÈME.


INTRODUCTION.

Rome, agrandie par les conquêtes et corrompue par le luxe, était dans cet état, où, comme dit Montesquieu, « la république devant nécessairement périr, il n’était plus question que de savoir comment et par qui elle serait abattue. » Avant que César frappât ce grand coup, Sylla, dictateur, avait déjà montré que les Romains pouvaient souffrir un maître. Ce que l’un et l’autre obtinrent à force de victoires, Catilina voulut le ravir par le crime, une haute naissance et de grandes qualités lui ouvrirent facilement l’entrée des magistratures. Revenu de l’Afrique, qu’il avait gouvernée comme préteur, il se mit au nombre des candidats pour l’année 688. Un procès de concussion, intenté par les Africains, le força de renoncer à ses prétentions. Manlius Torquatus et Aurélius Cotta furent élus. Alors Catilina forma une première conjuration dont Salluste parle en peu de mots. Il devait égorger les nouveaux consuls le jour même de leur entrée en charge, et s’emparer, pour lui et son complice Autronius, des haches et des faisceaux. Ce complot échoua deux fois en trente-cinq jours et demeura impuni. Bientôt même, protégé par la vénalité de ses juges et la collusion du fameux Clodius son accusateur, Catilina fut absous du crime de concussion, et commença d’avance à briguer le consulat pour l’année 690.

En attendant, il travaillait sans relâche à augmenter le nombre de ses partisans ; et vers le commencement de juin 689, à l’approche des comices consulaires, il rassembla les plus audacieux, et les entretint de ses desseins, leur promettant, s’il était consul, honneurs, richesses et puissance. C’est à cette assemblée que se rapporte le discours que Salluste met dans sa bouche au vingtième chapitre de son Histoire de la conjuration. Elle fut tenue dix-sept mois entiers avant que Cicéron lui arrachât enfin le masque, elle contraignit de déclarer à la république une guerre ouverte.

Cependant l’indiscrète vanité de Curius, un des complices, livra bientôt à une femme le secret de la conjuration. Celle-ci en eut horreur et la révéla, en taisant toutefois le nom de Curius. Dans ce temps, Catilina et Cicéron aspiraient également au consulat, et il s’en fallut peu que la naissance et les intrigues du premier ne l’emportassent sur les vertus du second, qui n’avait point d’aïeux ; mais le danger fit taire l’envie, et Cicéron l’emporta. Il fut désigné consul avec Caïus Antonius.

Il semble qu’il ne restait plus qu’à livrer à la vengeance des lois Catilina et ses complices ; mais quoique la conjuration ne fût que trop évidente, il eût été difficile peut-être d’en fournir des preuves légales. En outre, l’État n’avait point, comme dans les gouvernements modernes, un magistrat spécialement chargé de poursuivre les crimes. L’accusation était abandonnée aux particuliers : et comment trouver un accusateur à Catilina ? qui eût osé appeler en justice tant de patriciens, tant de chevaliers romains, peut-être même César et Crassus ? Les conjurés, par leur nombre, leur rang, leur naissance, leurs dignités, étaient tout-puissants au sénat et dans le forum ; et celui qui les eut accusés de conspiration aurait pu se perdre lui-même sans sauver la république. Lucullus poursuivit cependant Catilina, mais pour des crimes anciens ; il l’attaqua comme assassin, à cause des meurtres dont il s’était souillé pendant les proscriptions de Sylla.

Absous une seconde fois, Catilina ne songea plus qu’à emporter de force ce qu’il ne pouvait obtenir par ruse. Quoiqu’il ne fût pas consul, il voulut avoir une armée. De nombreux vétérans de Sylla peuplaient l’Étrurie. Enrichis autrefois par leur général, ruinés depuis par le luxe et la débauche, ils n’aspiraient qu’à un changement, ne rêvaient que nouvelles proscriptions. Mallius, qui lui-même avait servi avec distinction sous le dictateur, en réunit un grand nombre, et ils n’attendaient plus que le signal pour lever l’étendard de la révolte. D’autres conjurés faisaient dans d’autres parties de l’Italie les préparatifs de la guerre civile. Ils rencontraient peu d’obstacles : les armes romaines voyageaient, comme dit Florus, aux extrémités de l’Asie, et Pompée soumettait l’Orient pendant qu’un ennemi plus redoutable que Mithridate était aux portes et dans le sein même de Rome.

La république n’eut, en ces terribles dangers, d’autre rempart que Cicéron. Aussi c’est contre lui qu’étaient dirigés les principaux efforts de la conjuration ; et mille fois, depuis son élection et pendant son consulat, les poignards de Catilina menacèrent sa vie. Cependant les projets de ce conspirateur éclataient de toutes parts, et lui-même ne prenait presque plus la peine de les dissimuler. Un jour, accusé en plein sénat par Caton, il osa répondre qu’il éteindrait sous des ruines l’incendie qu’on voulait allumer contre lui. Ces discours menaçants et les mouvements d’Étrurie avaient jeté l’alarme dans Rome. Le 20 octobre, Cicéron fit un rapport au sénat sur les dangers de la république. Le 21, il enjoignit à Catilina de s’expliquer sur les desseins qu’on lui attribuait. Celui-ci répondit « que la république avait deux corps, l’un faible avec une tête sans vigueur ; l’autre fort, mais auquel il manquait une tête : qu’il devait trop à ce dernier pour ne pas lui en servir. » C’était se déclarer hautement le chef du peuple contre le sénat. Alors fut rendu le décret auquel on avait recours dans les périls extrêmes, et le consul fut revêtu d’un pouvoir dictatorial.

Le lendemain se tinrent les comices consulaires, différés jusqu’à ce temps. Silanus et Muréna furent élus pour