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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/586

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CICÉRON.

a placé parmi les dieux le fondateur de cette ville, l’immortel Romulus ; vous garderez sans doute aussi, et vous transmettrez à vos neveux le souvenir du magistrat qui, la trouvant fondée et agrandie, la sauva de sa ruine. Rome entière allait être embrasée ; déjà les feux s’allumaient autour de vos temples, de vos maisons et de vos murailles : j’ai su les éteindre ; j’ai brisé dans des mains parricides les glaives levés contre la république ; j’ai détourné de votre sein les poignards qui vous menaçaient. Comme ces horribles complots viennent d’être, par mes soins, révélés, prouvés, mis au grand jour dans l’assemblée du sénat, je vais, citoyens, vous les exposer en peu de mots. Vous ignorez encore la grandeur du péril, l’évidence de la conspiration, les moyens employés pour en suivre la trace et en saisir tous les fils. Je satisferai, en vous apprenant tout, votre juste impatience.

Catilina, vous le savez, en sortant brusquement de Rome, il y a peu de jours, y laissa ses plus audacieux complices, et les chefs les plus ardents de la guerre sacrilége qu’il fait à la patrie. Depuis ce temps, je veille sans relâche pour éclairer leurs ténébreuses machinations, et vous sauver de leurs coups.

II. Quand ma voix chassait Catilina de ces murs (car je ne crains plus de prononcer ce mot ; je dois craindre plutôt qu’on ne me fasse un crime de l’avoir laissé vivre) ; mais enfin quand je voulais que ce brigand disparût du milieu de nous, je pensais que les autres conjurés partiraient avec lui, ou que, restés sans lui, ils ne pourraient plus former que des vœux impuissants. Mais quand j’ai vu que ceux dont je redoutais le plus les audacieux transports et les fureurs criminelles, demeuraient dans Rome et bravaient nos regards, j’ai consacré tous les instants des jours et des nuits à suivre leurs intrigues et à pénétrer leurs desseins : desseins effroyables, attentat inouï, sur lequel vous n’auriez jamais pu en croire mes discours, si ma main n’en avait saisi des preuves irrécusables. Oui, j’ai voulu que vous vissiez le crime de vos propres yeux, afin que nul doute ne vous empêchât plus d’écouter les conseils de la prudence. J’entre en matière. Lentulus, pour soulever les Gaulois et allumer la guerre au delà des Alpes, avait entamé avec les députés des Allobroges une négociation criminelle. Déjà ceux-ci allaient partir pour la Gaule, munis de lettres et d’instructions, et devaient, en passant, se concerter avec Catilina. Avec eux partait Vulturcius, chargé d’une lettre pour ce chef de rebelles. Instruit de ces faits, je crus enfin avoir obtenu ce qui était le plus difficile, et ce que je demandais instamment aux dieux immortels. Je pouvais à la fois et surprendre moi-même, et livrer aux mains du sénat et du peuple tout le secret de la conjuration.

J’appelai donc hier chez moi les préteurs L. Flaccus et G. Pomtinius, dont le courage et le dévouement sont au-dessus de tout éloge. Je leur exposai tout ; je leur appris quel était mon dessein. Ces magistrats, animés pour la patrie du zèle le plus généreux et des plus nobles sentiments, se chargèrent sans balancer de l’exécution. Sur le soir, ils se rendirent dans le plus grand secret au pont Milvius, et se postèrent séparément dans deux fermes voisines, ayant entre eux le Tibre et le pont, ils s’étaient fait accompagner à l’insu de tout le monde d’un grand nombre d’hommes intrépides ; et moi-même j’avais envoyé au rendez-vous plusieurs jeunes gens de Réate, l’élite de leur pays, que j’emploie chaque jour pour assurer le repos public, et qui s’y trouvèrent bien armés. Vers la fin de la troisième veille paraissent ac-