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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/625

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tateurs s’appellent stoïciens. Voici quelques-uns de ses dogmes et de ses principes. Le sage n’accorde rien à la faveur, il ne pardonne aucune faute. La compassion et l’indulgence ne sont que légèreté et folie ; il est indigne d’un homme de se laisser toucher ou fléchir. Le sage seul, fût-il contrefait, est beau ; fût-il pauvre, il est riche ; fût-il esclave, il est roi. Nous tous, qui ne sommes point des sages, ils nous traitent d’esclaves fugitifs, d’exilés, d’ennemis, d’insensés. Toutes les fautes sont égales, tout délit est un crime ; étrangler son père n’est pas plus coupable que de tuer un poulet sans nécessité. Le sage ne doute jamais, ne se repent jamais, ne se trompe jamais, ne change jamais d’avis.

XXX. Telles sont les maximes que le génie de Caton a adoptées, séduit par des autorités recommandables, non pas, comme tant d’autres, pour en discourir, mais pour en faire la règle de sa vie. Si les fermiers de l’État demandent une remise, – Gardez-vous, dira-t-il, de rien accorder à la faveur. – Des malheureux viennent-ils vous supplier ?, – C’est un crime, un forfait que d’écouter la compassion. – Un homme avoue qu’il a commis une faute et demande grâce ? – C’est être coupable que de pardonner. – Mais la faute est légère. – Toutes les fautes sont égales. – Un mot vous est-il échappé ? – C’est un arrêt irrévocable. – Vous avez obéi au préjugé plutôt qu’à la raison ? – Le sage ne hasarde rien. – Vous vous êtes trompé en quelque chose. – Il crie à l’insulte. De cette doctrine, voici ce qui résulte contre nous : J’ai déclaré en plein sénat que j’accuserais un candidat consulaire. – Mais vous l’avez dit dans la colère. – Le sage est toujours maître de lui. – Mais c’était un propos du moment. – Il n’y a qu’un malhonnête homme qui puisse tromper et mentir ; changer d’avis est une honte, pardonner est un crime, écouter la pitié, une lâcheté.

Les maîtres que j’ai suivis (car je l’avoue, Caton, ma jeunesse, comme la vôtre, se défiant de ses propres lumières, a cherché à s’instruire dans l’école), mes maîtres, dis-je, fidèles aux principes modérés de Platon et d’Aristote, disent que le sage n’est pas toujours insensible à la faveur ; la compassion honore l’homme de bien ; il doit y avoir des degrés dans les châtiments comme dans les fautes ; la clémence se concilie quelquefois avec la fermeté ; le sage émet souvent un doute quand il ignore ; il peut être emporté par la colère ; il se laisse fléchir et désarmer ; il doit quelquefois rectifier ce qu’il a dit, renoncer à son premier sentiment ; enfin toutes les vertus doivent être renfermées dans de certaines limites.

XXXI. Si, avec votre heureux naturel, Caton, le hasard vous eût conduit à l’école de ces philosophes, vous n’auriez pas plus de vertu, de force d’âme, de tempérance ou de justice ; cela est impossible : mais vous seriez un peu plus enclin à la douceur ; vous n’accuseriez pas, sans aucun motif d’inimitié ou d’injure particulière, un homme plein de modestie, d’honneur et de mérite. Vous auriez pensé que la fortune, en vous préposant tous deux, la même année, à la garde de la république, vous unissait par une sorte de lien politique ; ce langage violent que vous avez tenu dans le sénat, vous auriez évité de le tenir, vous l’auriez oublié ou vous en auriez tiré une conséquence moins rigoureuse. Mais s’il m’est permis de hasarder une conjecture, cette sévérité, fruit d’un certain enthousiasme, augmenté par l’ardeur de votre caractère et de votre imagination, et échauffé par le souvenir encore récent des leçons de vos maîtres, se modifiera par l’expérience,