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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/642

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ami. C’est qu’en effet cette cause ne contrariait point mes penchants, ni la personne, ni l’affaire en elle-même ne répugnaient à mon naturel compatissant. Je n’avais trouvé son nom nulle part ; nulle part des vestiges de complicité : il n’existait aucun grief, aucun indice, aucun soupçon. Je me suis chargé de sa cause, Torquatus ; oui, je m’en suis chargé, et avec plaisir. Après avoir, par ma fermeté, mérité, comme je m’en flatte, l’estime des gens de bien, je ne voulais pas que même les méchants pussent m’appeler cruel.

VII. Ici Torquatus prétend qu’il ne peut me souffrir pour roi. Quelle est donc cette royauté, Torquatus ? c’est peut-être le temps de mon consulat, ce temps pendant lequel je n’ai rien commandé, où je n’ai fait qu’obéir aux sénateurs et à tous les bons citoyens. Alors, loin de m’ériger en roi, j’ai empêché qu’on ne régnât sur vous. Ou bien, diras-tu que je n’ai pas régné, quand j’étais investi de la première magistrature et du pouvoir suprême, et que je règne, à présent que je suis simple particulier ? Sur quoi te fondes-tu ? Ceux, dit-il, contre qui tu as déposé, ont été condamnés ; celui que tu défends espère être absous. Au sujet de mes dépositions, voici ma réponse : si j’ai déposé faussement, tu as déposé comme moi ; si j’ai dit la vérité, ce n’est pas être roi que de persuader ses juges par une déposition véridique faite en vertu d’un serment. Quant aux espérances de Sylla, je me contente de dire qu’il n’attend de moi ni puissance, ni crédit, rien enfin, excepté du zèle pour le défendre. Si tu ne t’étais chargé de sa cause, dit Torquatus, il ne m’aurait pas répondu ; il se serait exilé sans attendre le jugement. Quand je supposerais avec toi qu’un homme aussi grave qu’Hortensius, que les illustres personnages ici présents, ne se décident point d’après leurs idées, mais d’après les miennes ; quand je t’accorderais, ce qui n’est pas croyable, que si je n’eusse entrepris la défense de Sylla, aucun d’eux ne se fût déclaré pour lui : lequel, je te le demande, agit en roi, de celui à qui des hommes innocents ne peuvent résister, ou de celui qui n’abandonne pas des malheureux ? Ici même, chose tout à fait inutile à ton affaire, tu as voulu faire le plaisant ; tu as dit qu’après Numa et Tarquin j’étais le troisième étranger qui eût été roi dans Rome. Je ne m’occupe pas pour le moment de ce titre de roi, je te demande pourquoi tu m’appelles étranger ? Car si je le suis, il n’est pas étonnant que je sois roi, puisque, selon toi, des étrangers ont été rois à Rome ; mais il l’est beaucoup plus qu’un étranger ait été consul romain.

Je veux dire, répond Torquatus, que tu es d’une ville municipale. J’en conviens : j’ajoute même, d’une ville a qui Rome et cet empire ont dû pour la seconde fois leur salut. Mais je voudrais savoir de toi, Torquatus, pourquoi les citoyens des villes municipales sont à tes yeux des étrangers. Personne n’a jamais fait un pareil reproche ni à Caton l’Ancien, entouré d’ennemis, ni à T. Coruncanius, ni à M. Curius, ni à C. Marius, notre compatriote, qui avait tant d’envieux. Pour moi, je me réjouis fort d’être dans une condition telle, que, malgré ton désir de me blesser, tu n’aies pu me faire un reproche qui ne tombe sur la plus grande partie des citoyens.