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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Garnier, 1850, tome 2.djvu/69

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ner ceux que les acquéreurs et les sicaires n’auraient pu égorger ? Les habiles généraux, avant que d’engager une action, observent les débouchés par où l’ennemi peut fuir ; ils y placent une embuscade, afin de tomber à l’improviste sur les soldats qui se seraient sauvés du champ de bataille. Sans doute qu’à leur exemple ses acquéreurs croient que des hommes tels que vous siègent ici pour saisir les victimes échappées de leurs mains. Fassent les dieux qu’un tribunal que nos ancêtres ont voulu que l’on nommât conseil public, ne soit pas regardé comme le corps de réserve des acquéreurs ! Ne voyez-vous pas que tout ce qu’on se propose, c’est de faire périr, par quelque moyen que ce soit, les enfants des proscrits ? On veut que votre arrêt donne le premier exemple, et que Sextus soit la première victime. Peut-on, dans cette cause, se méprendre sur l’auteur du crime, lorsqu’on aperçoit d’une part un acquéreur, un ennemi, un assassin, en même temps accusateur ; et de l’autre, réduit à la misère, un fils estimé de ses compatriotes, qu’on n’a convaincu d’aucune faute, contre lequel on n’a pu même établir aucun soupçon ? N’est-il pas évident que Sextus n’est accusé que parce que les biens de son père ont été vendus ?

LIII. Si vous adoptez cet odieux système, si vous en secondez l’exécution, si vous siégez ici pour qu’on traîne à vos pieds les fils de ceux dont les biens ont été vendus, au nom des dieux, prenez garde de faire renaître une proscription nouvelle et beaucoup plus barbare. La première frappait les citoyens qui avaient pu prendre les armes : cependant le sénat ne l’a point autorisée ; il n’a pas voulu donner une sanction publique à des actes de rigueur inconnus chez nos ancêtres. Si vous ne rejetez par votre arrêt cette proscription nouvelle qui menace les fils de ces infortunés, et qui poursuit les enfants même au berceau, si vous ne la repoussez avec indignation, considérez dans quels maux vous allez jeter la république. Des hommes sages, et forts du pouvoir qui vous est confié, doivent surtout remédier aux maux dont la république est le plus tourmentée. Vous ne pouvez vous dissimuler que le peuple romain, autrefois si clément envers ses ennemis, est aujourd’hui dévoré de la soif du sang. Juges, mettez un terme à ces cruautés ; ne souffrez pas qu’elles règnent plus longtemps au sein de notre patrie. La mort de tant de citoyens indignement égorgés n’est pas le seul mal qu’elles aient produit ; elles ont encore endurci les hommes les plus humains, par le spectacle continuel de ces horreurs. Car lorsqu’à tout instant de nouvelles atrocités viennent fatiguer nos yeux et nos oreilles, la pitié s’éteint dans les cœurs les plus compatissants : à force de voir des malheureux, nous devenons insensibles.